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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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vous me traitez en ennemie. De quel droit ? Ai je démérité votre confiance ? Moi qui, soucieuse du bien du royaume, ai pris sur moi de me lier à votre maîtresse pour taire les ragots ? Moi qui suis parvenue à chasser ma rancœur dans l’évidence de ses qualités ? Moi qui, reniant ma douleur, me suis rapprochée d’un berceau pour ramener l’enfant d’une trahison à un gage de paix ?
    Il avait baissé les yeux, empourpré d’une honte soudaine.
    — Ma mie, je…
    Elle le coupa sèchement :
    — Vous, vous, vous ! Toujours vous, Henri Plantagenêt. Que reste-t-il aux autres ? Des rognures d’espérance ? Que suis-je donc devenue à vos yeux ? Une de ces catins que vous payez grassement ? Excusez-moi du peu, j’oubliais. Un royaume. Un royaume contre une queutée !
    Elle recula, des larmes non feintes aux yeux, les mains croisées sur son entrejambe révélé par le tissu mouillé.
    — Vous m’avez humiliée pour la dernière fois, Henri. Je m’accorde à ce lieu puisque je vous y ai rejoint mais, ensuite, je vous veux en Angleterre et moi en Aquitaine. Quant à ce fils que je vous ai repris, c’est à Fontevrault qu’il sera confié. À la garde de votre tante. Loin de vous. Loin de moi. Peut-être alors grandira-t-il sans haine. La mienne, vous venez, définitivement, de la gagner.
    Il se sentit aussi boueux que cette eau devenue froide autour de lui. Il frissonna. Elle aussi. Elle se rapprocha de son bliaud, le rajusta sur son vêtement trempé puis, agacée de son silence, de son immobilisme, ajouta, perfide :
    — Je me demande ce qui me manquera le plus en vérité. De vous… ou d’elle. Mais cela, mon mari, vous ne le saurez jamais.
    Elle quitta la pièce sur son visage défait.

49
     
     
    L es jours qui suivirent marquèrent irrémédiablement entre eux la rupture. Si Henri pénétrait dans une pièce, Aliénor en sortait. Il ouvrait bouche pour un bon mot, elle le chassait d’un autre, quand elle ne prenait pas plaisir à le rabattre d’une réflexion bien sentie dont elle seule riait, la cour baissant plus sûrement le nez. Henri rendait justice de ses gens, Aliénor des siens quand, auparavant, tous deux siégeaient communément ou indifféremment. Fut-ce le fruit de cette atmosphère particulière ? À la Noël, les grands vassaux du royaume s’agenouillèrent devant eux avec plus de déférence qu’à l’accoutumée. Espéraient-ils, en refusant leur arbitrage, empêcher l’éclatement de ce royaume qui avait sécurisé leurs terres, enrichi leur manne malgré les taxes que le roi imposait ? Difficile à dire. Je n’avais qu’une certitude. Si Aliénor portait hautainement ce masque de froidure, Henri restait pâlot. Là où il eût pu la moucher sans peine, il se taisait. N’intervenait que d’un regard en oblique lorsqu’elle approchait les limites de la lèse-majesté. Fut-il, pour justifier sa clémence, à l’origine de la rumeur prétendant que l’attitude de la reine s’expliquait par son chagrin au départ de Mathilde ? Elle ne le démentit pas. C’était vrai. En partie. Les trois vaisseaux qui avaient traversé la Manche sous la garde de Robert, comte de Kent, avaient dégorgé leurs richesses sur des charrois pour finalement arriver jusqu’à nous. Henri s’appliqua, dès lors, à réunir une armée destinée à escorter sa fille et sa dot jusqu’au Saint Empire germanique, Aliénor à remplir les derniers instants en sa compagnie de gaîté et de musique.
    Une fois de plus, je m’étais mise en retrait. Pour écouter un chant qui me raccommodait le cœur des brisures royales. Mon Geoffroy était amoureux. Oh ! rien de flagrant encore. Il riait, festoyait, s’adonnait à la lutte ou aux exercices, quand il ne chassait pas avec ses inséparables amis, Henri le Jeune, Richard et Guillaume le Maréchal, pourtant de dix ans son aîné, mais, à la moindre occasion, son œil s’arrêtait sur Agnès, la fille du seigneur d’Angoulême, bien différemment de toutes les autres que son chemin avait croisées. Nous avions refusé, Jaufré autant que moi, de lui imposer des épousailles sans amour. La châtellenie de Blaye était riche des bienfaits d’Aliénor, nos gens joyeux, nos abbayes renommées et, somme toute, il nous plaisait davantage de savoir nos enfants heureux. Je dus pourtant reconnaître, à m’y intéresser discrètement et de plus près, que cette petite damoiselle, nouvellement arrivée dans le sillage de la reine,

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