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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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avait autant d’atouts de séduction qu’elle en avait pour nos terres. Elle possédait une âme généreuse, encline à l’empathie, une droiture exceptionnelle et, malgré ses quinze ans, la douceur des gestes alliée à la fermeté des choix. Eloïn, avec cette finesse qui la caractérisait et n’avait cessé de s’accroître au fil des années, l’avait immédiatement intégrée dans son cercle d’amies. Quelques heures lui avaient suffi. De sorte que, tout naturellement et sans même s’en rendre compte, Agnès se rapprochait de Geoffroy, battait des cils qu’elle portait fournis et longs sur de beaux yeux sombres, baissait un nez en trompette sur une gorge aux fruits délicats et rosissait des pommettes hautes et joliment dessinées. L’avait-il séduite par cette voix qui ravissait la cour tout entière, par son allure désormais affirmée, à laquelle ses boucles brunes accordaient une tonalité rêveuse et indisciplinée, par la braise de son regard ou par ses attentions courtoises ? Je ne pouvais juger. Mon fils réunissait, du haut de ses quatorze ans, le meilleur de nous-mêmes. Il plaisait aux dames de tout âge par son élégance et ses manières délicates, aux hommes par sa trempe, sa droiture et sa loyauté. Il m’amusait parfois de surprendre sur lui quelques commentaires ciselés par les écrits de Wace : « Il a tout d’un Lancelot ! » ou encore : « Merlin n’aurait pas mieux choisi s’il l’avait voulu placer à la Table ronde ! » Le pays, les pays du royaume n’étaient pas guéris de l’influence de la matière de Bretagne, mais ils étaient loin de se douter à quel point, par ces images, ils rendaient à mon fils une part de sa lignée. Et d’autant plus que les enfants royaux, bercés eux-mêmes de ces légendaires récits, en revendiquaient l’héritage. Leur père n’avait-il pas arraché Caliburnus du tombeau avant de la rendre aux flots dans un combat de légende ? De quoi enflammer d’idéal leur esprit déjà chevaleresque, dont mon Geoffroy s’était montré digne. Assez pour être adoubé par le roi lui-même au lendemain de Noël. J’étais fière de lui. Autant que d’Eloïn, dont la place grandissait chaque jour davantage à la cour. En la regardant vivre, druidesse respectée, femme désormais dans la sublimité de ses traits et de son allure, je m’émerveillais de sa bonté, de sa finesse d’esprit et d’écoute, de sa modestie autant que de son savoir. M’évinçant sans le vouloir par le simple fait de son charisme et de sa présence, c’était vers elle que l’on se tournait le plus souvent pour chercher l’apaisement des maux et angoisses de l’avenir. Loin de lui en vouloir, réservant à ma reine l’usage de mes propres dons, je l’encourageais à exercer les siens, puissants et bénéfiques, me plaçant sous leur protection comme je lui avais, jusque-là, accordé la mienne, complice de chacun de ses gestes, de ses mots, de ses actes qui, de Richard, s’étendaient à toute cette nouvelle et hautement respectable génération. Oui, j’étais fière. Et cette fierté me tenait tout entière. J’étais une mère comblée. N’est-il pas de meilleur sentiment d’avoir réussi son existence que de la voir épanouie dans la joie de ses enfants ?
     
    *
     
    — Entre Canillette.
    Je tiquai de me voir ainsi nommée par Henri, avec d’emblée cette familiarité. Je repoussai pourtant la porte derrière moi. M’inquiétai plus encore de l’odeur de purulence qui stagnait dans la chambre. La rumeur voulait le roi souffrant. Rien de plus n’avait filtré depuis la veille au soir. Mais qu’il me réclamât à son chevet m’avait arrachée à ma méfiance, sitôt mis pied à terre, le teint rougi encore de la chevauchée dans laquelle Jaufré, réclamant un peu d’intimité, m’avait entraînée. Je m’empressai vers le fauteuil dans lequel, avachi et le teint blafard, le roi m’attendait. Il ramena son bras sur l’accoudoir, me révélant aussitôt la nature de son mal. La plaie raccommodée quelque temps plus tôt dans la saignée du coude ne formait plus qu’un amas de chairs tuméfiées par une méchante infection. Je m’accroupis pour l’examiner. L’avant-bras avait doublé de volume et brûlait, comme Henri, de fièvre. Inutile de me demander encore ce qui, sournoisement, rongeait le roi depuis l’arrivée de la reine.
    Je grimaçai.
    — Ce n’est pas de bon augure, Henri.
    — Je sais.
    — Pourquoi

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