Le règne des lions
d’autres ordres depuis.
Rosamund recula jusqu’au bord du lit et s’y posa comme une feuille d’automne détachée par le vent. Elle hocha la tête.
— Vous avez bien fait. Si le roi…
— Il n’en saura rien. Ainsi étaient nos accords et, vous le constatez, je ne tiens pas à les briser.
L’œil de Rosamund s’égara sur les traits trop sereins de la reine.
— Nos accords, dites-vous… Est-ce donc tout ce que j’ai représenté pour vous ? L’aboutissement de votre ire ?
Aliénor ne répondit pas. Pas de mise à mort, certes. Mais point de mensonge non plus. Rosamund baissa les yeux, appuya lourdement une main sur l’édredon, la laissa s’enfoncer jusqu’à retrouver la fermeté du matelas et chasser son vertige. Elle secoua la tête, la voix teintée d’amertume.
— Bien sûr. Que pouvait-il naître d’autre que cela en vous ? Moi-même, au premier jour, eus le sentiment d’un joug. D’une défaite. Il n’en reste plus rien ce jourd’hui. Vous avez gagné, ma reine. Je vous aime. Et peux affirmer à votre mérite que, de tous les sentiments qui me lièrent à Henri, celui-ci est le plus fort. Le plus destructeur aussi.
Aliénor vint s’accroupir devant elle, la gorge nouée d’indulgence. Sa main en coupe cueillit l’ovale du visage, le releva pour qu’elle puisse en sonder la défaite.
— Vous savez donc ce qu’il me coûta de le perdre. Je devrais m’en réjouir mais, croyez-le, Rosamund, j’en suis attristée. Qu’il souffre mille angoisses à l’idée de votre détachement, oui, oui je le réclame. Mais je refuse votre douleur.
— Je n’ai que faire de pitié, Majesté.
— Et moi de votre orgueil.
Rosamund éclata en sanglots. Aliénor l’attira contre elle, la berça jusqu’à ce qu’ils s’apaisent.
— Henri me demande de le retrouver à Argentan pour y tenir avec lui la cour plénière. Ce sera le dernier Noël de Mathilde avec nous. Elle rejoindra sitôt après le duc de Saxe. Mon départ était imminent de toute manière. Mais les faits sont là, Rosamund. Je me suis attachée à vous malgré mon semblant. Peut-être parce qu’à travers vous c’était lui que j’aimais encore. Je ne sais. Quoi qu’il en soit, c’est terminé. Henri ne nous laissera pas d’autres occasions de tête-à-tête, quand bien même il n’aura vérification de ses craintes. Je ne veux pas les conforter. Vous mettre en danger.
Elle s’écarta, arracha un carré de toile de la dentelle qui, recouvrant son coude, dépassait du dessous de sa manche ouverte en fleur de lys. Elle le lui tendit.
— Allons, mouchez-vous et louez-moi plutôt de vous rendre à lui. C’est un royaume que vous vouliez avant mon arrivée ici. C’est un royaume que je vous abandonne. Ainsi doit s’écrire l’Histoire.
— Et si je n’en voulais plus ? hoqueta Rosamund après un mouchage discret.
Un sourire étira les traits déterminés de la reine.
— Ne dites pas de sottises. Vous aimez le pouvoir autant que moi. Vous serez vite guérie de mes caresses dans les bras de servantes. Il n’en manque pas qui, elles aussi, recherchent quelques privilèges. A la différence près qu’elles disparaîtront lors des séjours du roi pour vous rassasier ensuite de son départ. L’amour s’accorde à nos envies, Rosamund Clifford. Il ne se guérit jamais aussi bien que dans la douceur d’un autre.
Rosamund frotta ses yeux, renifla, puis laissa un sourire creuser ses fossettes.
— J’imagine que vous avez raison.
— N’imaginez pas. Soyez-en certaine.
Aliénor se redressa et lui tendit une main amie.
— Allons, à présent. Fi de tristesse. Enorgueillissez-vous au contraire.
Rosamund retrouva un appui plus ferme qu’elle ne l’aurait imaginé. Mais ouvrit tout de même des yeux aussi ronds que rougis.
— Et de quoi donc ?
Aliénor la raccompagna à la porte, un rire aux lèvres.
— Diantre, damoiselle, n’avez-vous pas béliné une reine et son roi ? Qui peut se vanter, même aussi discrètement que vous, de cela ?
*
Henri Plantagenêt ne savait, en toute franchise, s’il devait se réjouir de retrouver sa reine ou bien plutôt de la voir s’éloigner de l’Angleterre. A défaut, il se sentait soulagé. Pas serein, mais soulagé. De fait, il avait mis dans ces derniers jours toute sa fureur angoissée. Le résultat ne s’était pas fait attendre. Face à lui, le château de Lusignan semblait un champ de ruines. Sa seule contrariété à
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