Le règne des lions
je m’y étais attendue, il s’en montra troublé.
— Vous songez à votre prémonition, n’est-ce pas ?
— Oui, telle qu’en les termes tirés de la Vita Merlini : « L ’ aigle de l’alliance brisée se réjouira en sa troisième nichée. » Mais d’autres mots y ont été associés alors : « De Richard renaîtra l’espoir oublié. » J’avais compris qu’Aliénor lui donnerait naissance un jour, mais je n’imaginais pas que ma fille lui serait liée.
Il haussa ses épaules carrées, restes de la lutte qu’il avait pratiquée en ses jeunes années.
— En quoi est-ce étonnant, Loanna ?
— Je devais être la dernière dans l’ombre des rois d’Angleterre. Elle n’était donc pas appelée à me succéder. L’angoisse m’étreint le cœur, mon père. Il faudra qu’un événement gravissime change cette vérité. Et je redoute que vous n’y soyez mêlé.
Les genoux douloureux d’être restés trop longtemps pliés, il s’aida du dossier devant lui pour se relever.
— Je n’ai pas votre prescience pour en juger.
Je lui rendis son sourire.
— Cette fois, elle me laisse aveugle.
Il pressa mon épaule qu’un léger mantel recouvrait.
— Ne cherchez pas à la brusquer et vivez au présent, puisqu’il vous comble de bienfaits. Demain verra se dessiner les réponses aux questions qui vous harcèlent, lors vous vous porterez au-devant d’elles, avertie de votre instinct. Ne vous a-t-il pas toujours guidée ?
Je soupirai.
— Je ne suis plus votre petite sorcière, Thomas Becket, vous le savez bien. Mes pouvoirs ce jourd’hui se réduisent à quelques visions, et encore, peu fréquentes. La dernière, je vous l’ai dit, fut en ce lieu même, au moment du couronnement d’Henri. Vous succombiez sous les coups d’estoc de quatre hommes masqués et vous m’avez moquée de m’en être inquiétée.
Il étouffa un rire sec qui résonna pourtant comme un blasphème sous les voûtes de la cathédrale. Se reprit aussitôt, les traits éclairés de gaîté.
— Ne sous-estimez pas votre influence sur ce qui vous entoure. Voyez, quelques secondes en votre compagnie et je frôle le paganisme en souillant la rigueur de ce lieu.
— J’en suis navrée.
— Je n’en crois rien, Loanna de Grimwald, et je ne songe en aucune manière à vous le reprocher. Plutôt à vous faire entendre ce que vous refoulez. La magie est toujours en vous. Près de vous. Souvenez-vous de nos débats sur l’île de la Cité. Vous disiez la respirer dans le souffle du vent, contre l’écorce d’un arbre, et je vous répondais que c’était en vérité le parfum de Dieu. Qu’importent les croyances. Ecoutez et vous entendrez, regardez et vous verrez. Si Geoffroy de Monmouth le peut, vous le pouvez aussi. D’une autre manière qu’avant, mais nous sommes tous portés à nous transformer. Perdons-nous pour autant nos rêves, nos espoirs, nos ferveurs ? Pas si nous accordons à l’amour, et à l’amour seul, de nous guider.
Comme à chacune de nos rencontres, je me sentis apaisée.
— Allez dans la paix du Christ mon cher ami.
— Et vous dans celle du cœur, me répondit-il en clignant un œil complice.
Côte à côte et sans plus parler, nous remontâmes la travée. Parvenus sur le parvis, sous un soleil aussi franc que nos échanges l’étaient, nous nous séparâmes en nous souhaitant une bonne journée.
Les jours qui suivirent arrondirent tant Aliénor qu’elle dut délaisser sa jument au profit de litières, plus confortables. Pour autant, elle ne ralentit pas ses promenades. La cour ne vivant plus que des découvertes d’Henri, un pique-nique avait été organisé près de la ville de Salisbury, au mitan des pierres levées joliment appelées « danse des géants {2} ». Si beaucoup se troublèrent de l’imposante majesté de cet ensemble de menhirs et de dolmens, moi seule y perçus le souffle des anciens rites druidiques et je ne le quittai au soir venu qu’infiniment troublée, comme si quelque message avait voulu m’atteindre sans que je sois parvenue à le déchiffrer. Dans la foulée, semblant vouloir ravir plus encore ses gens et m’enfermant dans cette certitude, Aliénor décida de répondre à l’invitation de Renaud de Comwall qui lui avait offert séjour à Tintagel. Le chantier de reconstruction du château avançait grandement et je me trouvais aussi impatiente de les voir que la reine. Décision fut donc prise de laisser nos enfants à
Weitere Kostenlose Bücher