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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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rassurés sur le sort de leur roi. Généreusement, les seigneurs comiques réquisitionnèrent tout ce qu’ils purent de charrettes et montures dans les villages alentour pour les mener. Privées de leurs bagages bloqués en Tintagel, réduites à des mises pitoyables et grelottant malgré le soleil revenu, nombreuses étaient ces dames qui sanglotaient. Un instant, il me sembla retrouver quelque scène de la croisade. Mêmes regards hébétés, mêmes corps ballottés.
    Henri s’était réfugié dans le donjon. Certains valets, encordés à une quinzaine d’autres, descendirent dans la faille. Comme l’avait affirmé Merlin, ils remontèrent l’écuyer, blessé en de multiples endroits par le tranchant des ardoises. Aucune des plaies, pourtant, ne s’avéra grave. Choqué, enfiévré, il ne put donner aucune indication sur son maître ou l’épée. Tandis que les recherches se poursuivaient, une chaîne humaine se mit en œuvre pour démonter les échafaudages, doubler des cordages afin de fabriquer un pont flottant. A la tombée du jour, il était prêt et sir Renaud donnait l’ordre de le poser. On le maintint par des piquets solidement enfoncés à plus de quatre toises du bord, là où la terre tenait couche épaisse sur la roche. Une vingtaine d’hommes en testèrent la solidité. Les vapeurs du couchant caressaient l’horizon, lorsque, enfin, sir Renaud nous accorda de traverser.
    La faim nous tenaillait le ventre, le froid était toujours aussi mordant. Mais rien ne me rassasia, ne me réchauffa plus que le bonheur d’Aliénor devant son époux, toiletté et pansé, qui sortit de la chapelle à notre arrivée.
    « Seuls ceux qui comptent en nos cœurs ont le pouvoir de nous blesser. Souviens-toi, ma fille, que la haine naît autant de jalousie que d’amour contrarié », m’avait enseigné Guenièvre, tandis que tantôt, me redressant sur le tertre, Jaufré m’avait serrée dans ses bras en s’affirmant fier du pardon que j’avais donné. Il avait depuis longtemps compris ce que je refusais d’accepter. J’étais à l’Angleterre et à son roi ce que j’étais à lui. Et, contre toute attente, peut-être parce que sa terre de Blaye le tenait, lui aussi, de moitié, mon troubadour ne m’en aimait que davantage d’être partagée.
    Son épouse rassurée, son repentir confessé à l’abbé, ses prières dites pour sir Thomas, Henri se contenta de poser une main épaisse sur mon épaule et de me couvrir d’un profond regard. Je ne lui rendis qu’une révérence. Une lice à merci, avait réclamé Aliénor pour clôture du tournoi. Elle avait eu lieu. Entre lui et moi. Lorsque je me retirai pour me changer, je me demandai lequel de nous deux l’avait finalement emporté. Cette même nuit, le cœur broyé par une main invisible, Geoffroy de Monmouth mourait, les yeux grands ouverts sur un songe inachevé. Une vie pour une vie, songeai-je avec amertume. J’avais fait mon choix. Henri l’avait conservée. Me serais-je sentie moins coupable si un autre que Monmouth s’en était allé ?
     
    A notre retour à Londres, Henri m’expliqua calmement que l’épée perdue ne changerait rien à sa tactique. N’avait-il pas fait réécrire l'Historia regum Britanniae de Monmouth en vers par ce jeune clerc lisant nommé Wace ? Son Roman de Brut qui réfutait l’omniprésence des chevaliers de la Table ronde au profit d’une implication plus grande de Merlin et d’Arthur dans les affaires de Bretagne et la conquête des territoires voisins faisait désormais office de vérité. Lors, se revendiquant de la lignée d’Arthur par sa découverte autant que par ma présence à ses côtés, Henri pouvait prétendre à réunir enfin les royaumes du pays de Galles sous la bannière anglaise. Il n’était en réalité revenu du continent que pour cette raison. Soutenir Madog ap Meredudd, prince de Powys, contre Owain ap Gruffydd, rebaptisé Owain Gwynedd du nom de son royaume. Je n’approuvai pas cette guerre. Henri haussa les épaules, m’embrassa sur le front, puis s’en fut rassembler son armée.
    En le regardant partir à la tête de ses hommes, Eloïn secoua sa petite tête aux nattes enrubannées et prophétisa d’un ton navré :
    — Le grand dragon rouge va le manger.
    C’était également mon idée.

15
     
     
    L e cœur battant à tout rompre au pied de l’étroit escalier en colimaçon, Eloïn hésita. Sa petite lanterne n’éclairait qu’une portion des marches, abandonnant

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