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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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des anfractuosités de la roche, je distingue ceux des défunts que cette terre avait aimés. La malédiction du tombeau d’Arthur avait parlé. Caledfwlch n’appartenait plus aux hommes. Henri avait été fou de s’en emparer.
    — Impétueux serait plus juste…
    Je tournai la tête vers cette voix redevenue familière. Serti dans ses longs cheveux d’un blanc laiteux, comme un écrin de soie, Merlin me contemplait, lissant sa longue barbe d’une main soucieuse. Son apparition m’apaisa.
    — Vit-il encore ?
    — Sers-toi de tes yeux pour le vérifier.
    Je les fermai. L’image, tout d’abord floue, se précisa plus vite que je n’aurais cru. Le corps s’était recroquevillé sur lui-même. Henri se tenait la poitrine, et son visage, battu par les éléments déchaînés, exprimait une douleur violente.
    — Il souffre… N’y aura-t-il personne pour l’aider ?
    — Personne. Les valets, qui n’ont rien vu, sont au chaud en les murs de la forteresse et les chevaliers se sont retranchés en leurs tentes devant l’évidence que rien ne pouvait être tenté. Nul ne songe à braver la tempête. À part toi, Loanna de Grimwald.
    Je me tournai vers cet être sans âge dont la longue tunique d’un gris sombre semblait se fondre autant à l’ardoise sous nos pieds qu’au plafond de nuages. Son regard n’exprimait que bonté. Des larmes vinrent ourler mes yeux. Il sourit avec tendresse.
    — Seul le pardon peut apaiser la colère. Est-il prêt à le recevoir ?… Et toi mon enfant, es-tu prête à le donner ?
    Je me raidis. Ses paroles, de manière inexplicable, trouvaient un écho en moi.
    — Je ne comprends pas…
    Merlin secoua sa crinière, l’air navré.
    — Alors je ne peux rien. Ni pour lui. Ni pour toi.
    Quelques secondes suffirent pour faire revivre en ma mémoire l’impitoyable regard que j’avais posé sur Henri depuis qu’il m’avait violentée. Non, je n’avais pas pardonné.
    Mon cœur se serra.
    — Il n’avait pas le droit de m’imposer cela.
    — Je le sais. Mais là n’est pas la question. La question est de savoir si cette punition qu’il a invoquée en tirant Caledfwlch du sommeil est suffisante à tes yeux.
    Des doigts glacés s’insinuèrent sous mes vêtements trempés. La vision de sa souffrance me frappa de nouveau : Henri grelottant, claquant des dents, les sourcils froncés, les doigts recroquevillés comme s’il avait voulu arracher la cotte de mailles. Comme s’il avait voulu s’arracher le cœur. Je revis son geste de défi sous la voûte zébrée d’éclairs. Il avait invoqué la mort. La mort et la magie. Ma magie contre lui. Pour se laver l’âme. Quitte à entraîner d’autres avec lui.
    Je m’en révoltai.
    — Ce n’est pas juste. Sir Thomas et son écuyer n’y étaient pour rien.
    — Une vie pour une vie, Loanna. L’écuyer n’a rien. Il gît, assommé, en contrebas. Quant à son maître, seul l’orgueil est responsable de son destin. Un autre lieu n’aurait pas appelé sa fin.
    Je resserrai autour de moi les pans de ma chape comme s’ils avaient pu me prémunir de ma tempête intérieure. Les vents rugirent plus fort, les précipitations redoublèrent. Merlin avait raison. C’était de ma colère, sourde et inavouée, que se nourrissaient à présent les éléments. À ce constat, elle retomba d’un bloc. Je ne voulais pas la mort d’Henri. J’écartai les bras vers le ciel en tumulte, lui offris mon visage à laver :
    — J’en appelle à l’eau, au feu, à la terre et au ciel, j’en appelle à l’énergie universelle pour qu’elle guérisse et m’apaise.
    Il y eut un roulement de tonnerre, puis un déchirement dans les nuées. Merlin s’était retiré, aussi discrètement qu’il s’était annoncé. Je tombai à genoux sur ce tertre, au bord du précipice, face à cette masse de pierre qui peu à peu revenait dans la lumière d’un simple rai. Elle baigna Henri, de l’autre côté. La pluie cessa. Le vent se tut. Lors, je le vis se décrisper lentement, se rassembler sur lui-même et s’agenouiller à son tour, la main toujours sur le cœur. Nos regards se trouvèrent par-delà la distance.
    Je crois qu’il comprit en même temps que moi à quel point je l’aimais, cet enfant terrible, ce petit frère indomptable que j’avais tant bercé.
     
    Les heures qui suivirent furent tout autant éprouvantes.
    Si, avec Aliénor et Jaufré, je demeurai sur place, nos gens prirent route dès qu’ils furent

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