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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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l’arracha aux pavés disjoints de la cour du Louvre. Une sueur froide glissa le long du dos de Jaufré. Il venait de comprendre. Ce n’était pas une absolution que le balafré était venu chercher, mais une raison à sa convoitise. Eloïn. C’était Eloïn qu’il voulait. Il héla le garçon d’écurie, exigea sa monture puis leva la tête vers ma fenêtre.
    Un frisson me gagna devant son visage farouche. Je le vis enfourcher sa monture puis disparaître dans le sillage du balafré. Certaine qu’il venait lui-même de faire un choix, plus radical que le mien, je quittai en hâte cette pièce aux relents d’encens pour dévaler le grand escalier de marbre qui ramenait vers l’entrée. Je pouvais peut-être encore empêcher que du sang entachât ses mains.
     
    L’on se pressait en nombre à l’abord du petit pont, bordé de part et d’autre par des échoppes qui arrêtaient le chaland. Les charrettes voisinaient avec les litières, les chevaux avec les mulets, les piétons avec les chiens errants. Jaufré eut du mal à s’y frayer passage et tempêtait à la perspective de ne pas retrouver le balafré dans la foule. Il savait pourtant qu’il passerait nécessairement là. Il n’existait pas d’autre accès pour rejoindre la via romaine en direction de Bordeaux. Tout en bousculant les uns, s’excusant auprès des autres, il se reprochait sa sottise. Sûr que le balafré avait laissé des hommes derrière lui, prêts à s’immiscer sournoisement en
    Blaye comme ils l’avaient fait au palais de l’Ombrière. Son sang battait ses tempes à l’idée que déjà, peut-être, Eloïn était entre leurs mains. Il harcela sa monture, la força à coller aux bâtisses pour contourner un charroi qui bloquait passage. Il allait dépasser l’attelage et son conducteur lorsqu’il vit le balafré qui peinait de même, à quelques toises de lui. Il devait l’empêcher d’atteindre le petit Châtelet, à l’extrémité du pont. Il gueula :
    — Chantemerle !
    Il n’obtint qu’un œil noir de la part du charretier, dont les oreilles étaient trop proches. Jaufré le déborda, resserrant la distance qui le séparait de son ennemi. Le vit mettre pied à terre. S’il atteignait les gardes en faction devant la porte, c’en serait terminé. Il ne pourrait agir que plus loin. Et, plus loin, Jaufré se savait trop malhabile pour vaincre. Saisi par une autre idée, il s’époumona :
    — Corcheville !
    Le balafré tourna la tête. À la surprise succéda sur ses traits tirés comme un relâchement. Jaufré refusa d’y voir l’espoir d’une possible indulgence. Il se hâta jusqu’à lui, descendu de cheval et ramené vers la bordure. Glissa de sa selle, un sourire faux aux lèvres.
    — Vous partîtes trop vite pour entendre la fin du message, mon ami.
    Le balafré le toisa de mépris.
    — À quoi bon, s’il me condamne ?
    — Holà ! marauds, ôtez-vous du passage, gueula un cavalier à leur encontre, une main au pommeau, l’autre sur sa lame.
    Jaufré en profita pour attirer le balafré dans l’ombre d’une échoppe au volet rabattu.
    — Il existe un autre moyen de vous délivrer.
    Le balafré accusa un sourire sur ses traits abîmés.
    — Me donner votre fille en mariage ?
    — Non…, répondit Jaufré en faisant coulisser un poignard de sa manche, certain que le balafré ne le pouvait ni voir ni imaginer… Rejoindre Aude de Grimwald.
    Profitant de l’effet de surprise qui arrondit les yeux du balafré, Jaufré frappa trois fois sous le sternum, sans hésiter, aussi froidement que sa lame, aussi rapidement que le lui avait autrefois enseigné Denys de Châtellerault.
    — Assez, Jaufré. Assez, murmurai-je derrière son épaule, bouleversée par le regard, peu à peu vitreux, que le balafré dardait sur moi, arrivée trop tard.
    Il éructa, dans un filet de sang, d’un pardon à peine audible.
    Des larmes me vinrent avec le souvenir de ce visage, rajeuni, épuré de sa cicatrice, au nez légèrement en bec d’aigle. Un rire à mes oreilles, une lueur de tendresse. Le Pierre de Chantemerle de ma petite enfance. L’ami. Le protecteur. La voix d’Aude de Grimwald au creux de moi.
    — Que se lève l’anathème et s’oublient les tourments. Tu es libre, Pierre de Chantemerle. Pardonné céans et absous, murmurai-je.
    Il rendit son dernier souffle dans un sourire apaisé.
    Jaufré se colla à lui pour le repousser dans une encoignure. Malgré notre trouble, conscients soudain de

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