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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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Je sais que sa dernière pensée a été pour elle. J’ai pleuré mon ami comme un frère, croyez-le, avant de monter à l’étage et d’en demander pardon à Aude. Ma dague pendait à ma ceinture. Elle l’a arrachée dans un hurlement de louve et, tout en me vouant aux affres éternelles, m’en a déchiré le visage au point de la briser. La suite, vous la connaissez. Je suis sorti en hâte, ensanglanté, l’œil à demi énucléé. Je n’ai pas repoussé l’huis derrière moi. A mon retour, elle avait disparu. Les gardes du pont-levis qui s’ouvrait dans la pièce principale affirmèrent ne pas l’avoir vue sortir. Je retournai le castel, puis la contrée, sans retrouver d’elle la moindre trace, éveillant en revanche les soupçons de mes maîtres. Je dus avouer ma trahison à Etienne de Blois. Il réclama en compensation que j’abandonne mes biens, mon nom. Je n’en étais plus digne. Et, pour mieux m’en convaincre, je laissai Anselme de Corcheville tuer définitivement Pierre de Chantemerle dans la noirceur de ses actes.
    Sa langue claqua dans sa bouche sèche. Jaufré se leva. Malgré la pitié que lui inspirait soudain cet homme, il ne pouvait oublier ses crimes, ni une certaine méfiance. Il choisit la dignité de l’hospitalité.
    — J’allais me restaurer à votre arrivée. Accompagnez-moi… Il y a bien assez de vin et de mangeaille pour deux.
    Il posa un pied sur la marche, hésita, puis darda dans celui du balafré, resté immobile et silencieux, son regard aux teintes de l’estey.
    — Anselme de Corcheville n’est plus, n’est-ce pas ?
    — Depuis la mort d’Étienne de Blois, déjà, je le sentais peu à peu s’éloigner. Le face-à-face avec Loanna a achevé de le tuer. J’ai renié mon serment, repris ma liberté pour la perdre quelques mois dans un monastère à tenter de me pardonner. Je n’y suis parvenu. La malédiction d’Aude pèse toujours sur mes épaules et je ne saurais retrouver mon nom, mon rang et mes terres sans qu’elle soit levée.
    Jaufré hocha la tête.
    — Je vois. Et vous pensez que mon épouse le pourrait.
    — Si ce n’est elle, alors personne.
    Jaufré se ramena à sa hauteur. Pouvait-il lui faire confiance ? Ces repentirs ne masquaient-ils pas quelque nouvelle fourberie ? Un temps pour chaque chose. Un instant, il eut le sentiment que celui du balafré était compté. Cette évidence emporta sa décision.
    — Nous partirons dès l’aube pour Paris. Jusque-là, Pierre de Chantemerle, si vous me rendez vos armes et jurez sur la très sainte Bible de ne pas vous approcher de mes enfants, vous êtes mon invité.

24
     
     
    U ne des nombreuses portes du rempart crénelé et dardé de tours passée, puis les faubourgs qui chaque année gagnaient sur les champs clos, l’île de la Cité était telle qu’en mon dernier souvenir. Une olive enchâssée entre les deux rives de la Seine, que reliaient deux ponts de bois fortifiés, l’un appelé le grand Châtelet au nord, l’autre le petit, au sud. A l’Orient de ce dernier, à l’intérieur des remparts primitifs, et faisant presque face à l’église Sainte-Geneviève, se tenait l’imposante basilique Saint-Étienne à cinq nefs, bâtie au v e siècle, flanquée au nord d’un baptistère et de maisons à colombages de plus en plus nombreuses. Le vieux palais royal se tenait sur le versant oriental, clos par une autre muraille et aussi triste que je l’avais quitté lors de ma dernière visite. Louis de France avait beau en avoir élargi les ouvertures, fait ravaler les façades et rafraîchi les jardins, ses vieux murs relataient le manque d’animation, de vie, de couleur et de musique que l’Aquitaine, et même l’Angleterre, avaient toujours privilégiées. Il fallait avoir une bonne raison de s’y attarder.
    A mon entrée dans la petite antichambre éclairée par la lueur blafarde des chandeliers, le roi s’écarta du miroir dans lequel il venait, une fois encore, de juger de sa mauvaise mine. Il attendit que le valet ait refermé la porte basse, nous isolant tous deux, pour tendre vers moi un menton interrogateur.
    Je secouai négativement la tête, navrée.
    — La grossesse de la reine n’est pas en cause, Votre Majesté. Son mal vient du sein dextre. Il est anormalement déformé et dur. J’ai relevé deux masses sous l’aisselle, douloureuses au toucher, et une autre aux salières. Qu’en disent vos médecins ?
    — Ils subodorent tout et son contraire. Mais

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