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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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roche. Il posa sa main sur le haut de son crâne et prononça les paroles que j’entendis en mon temps.
    « Voici tout ce qu’il te reste à savoir. »
    Mensonge d’hier. Mensonge d’aujourd’hui. Je ne dis rien. Elle le verrait bien. Apprendrait comme moi au jour le jour. Sachant que, sur le fond, Merlin avait raison. L’essentiel tenait en un seul mot. L’amour. Et qui mieux que moi pouvait le lui enseigner ?

27
     
     
    Q uittant l’Aquitaine où il s’obstinait à mater d’autres féaux, sans cesse en guerre de voisinage, Henri galopa jusqu’à Rouen. Aliénor y avait posé ses bagages, malade de grossesse à en régurgiter dix fois par jour, et il s’inquiétait pour elle. En outre, l’archevêque Thibaud de Cantorbéry venait de s’éteindre. Ses derniers mots avaient été pour recommander Becket à sa succession. Henri, qui, à plusieurs reprises, en Angleterre ou sur le continent, avait bousculé l’Église avec la discrète complicité de son chancelier, se rengorgea de l’aubaine. Et, sitôt qu’il eut mis pied à terre, voulut me donner son sentiment :
    — Ainsi se verraient unis à travers lui le pouvoir temporel et l’ecclésiastique, de sorte que nul, Dieu ou simple mortel, ne pourrait décider à ma place.
    Orgueil et prétention ! Jusque-là, Henri en avait usé les rouages à plaisir. Pourquoi ce jour-là en fus-je inquiétée, je n’aurais su le dire. Il se tenait face à moi dans sa trentaine superbe, les racines des cheveux brunies par la maturité, les pointes rousses sur son front tailladé d’une ride. Un sanglant qui rejoignait sa barbe au menton puis cascadait sur ses épaules forgées par les exercices quotidiens autant que par les guerres. Son regard vert avait pris cette patine propre à l’âge sans pour autant éteindre les gourmandises d’hier.
    Le nez était resté droit malgré les aléas des batailles, l’écart léger entre ses deux premières incisives n’avait pas noirci comme d’autres. H portait beau. Plus beau qu’il n’avait été. Et se sentait, chez lui comme en tout lieu, le maître incontesté. Presque le roi du monde. Lui donner le ciel n’était pas une bonne idée. Quel argument lui opposer pourtant ? Il avait fait de Thomas Becket une caricature de l’homme que j’avais connu. En quelques années et malgré mes remarques, le prélat s’était laissé piéger par le faste de la cour d’Henri. Depuis son retour de Paris, où il avait porté délégation, et moi la requête d’Aliénor concernant ses filles, Becket s’était aspergé de magnificence comme un de ces parfums de prix qu’il faisait venir d’Orient. Sa table était autant prisée que celle du roi. Quant à sa demeure, choisie pour lui par Henri tout à côté de Westminster, elle reflétait l’opulence. Une opulence qu’il traduisait par une morgue détestable à l’égard des petits, une graisse fade et des bijoux précieux sur des mises de prince. Tout ce que, comme moi encore, il avait exécré en son jeune temps. Je le supportais, mais, ainsi qu’il me l’avait autrefois conseillé, avais cessé d’être son amie.
    — Loanna ?
    Je ramenai mes pensées vers Henri. Il souriait. De cet air de connivence qu’il adoptait parfois lorsque nous étions seuls. Rarement, car un reste de méfiance me tenait en sa présence, que pas même les événements de Tintagel n’avaient réussi à défaire. De sorte que, lui laissant Becket pour conseiller, je demeurais quasi exclusivement dans l’ombre d’Aliénor. Je lui renvoyai son sourire dans un haussement d’épaules.
    — Ne l’avez-vous modelé en cet espoir, mon roi ?
    Son rire, bref, semblable à un coup de tonnerre, éclata dans cette salle octogonale qu’Henri avait voulue à la croisée des corridors. On y entrait de chaque face par des portes en plein cintre qui interdisaient tous meubles sinon un lutrin sur pied, en plein centre de l’espace. Une bible ouverte, tous les jours à un chapitre différent, y reposait. La trouvant forcément sur le passage, on pouvait s’arrêter pour la lire et en tirer enseignement. Il existait une réplique de cette pièce. A Woodstock. En plein cœur du labyrinthe qui tenait lieu de jardin et sous une tonnelle recouverte de jasmin.
    Il tourna une des pages enluminées. Au hasard. Ne s’y attarda pas davantage qu’il s’attardait à toutes choses qui barraient son chemin. J’eus envie de reculer d’un pas, de placer entre nous autre barrière que celle de ce

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