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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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plus tard.
    Une autre version. Un frémissement me parcourut que le vieil homme devina. Anticipant ma requête dans le regard de ma fille, il poussa un profond soupir tout en s’essuyant les mains à son tablier déjà maculé de graisse.
    — J’en sais bien peu en vérité. Guenièvre a surgi un matin, à bout de forces et de larmes. Elle m’a annoncé la mort de sa sœur. Elle avait besoin de ce lieu pour la pleurer. Je me suis fait discret jusqu’à ce qu’elle m’invite à partager sa peine. Je n’ai rien demandé. Et j’ai obéi lorsqu’elle m’a fait jurer de ne jamais en parler. À vous moins qu’à quiconque.
    — Votre fidélité vous honore, Mauray, répondis-je, déçue malgré tout, tandis qu’il s’emparait d’une paire de ciseaux pour effiler des feuilles d’ortie. Il marqua une pause, leva vers nous son visage moucheté de taches brunes comme autant de pierres dans les chemins creux de sa vieillesse.
    — Il y a toujours une malle. Emplie des effets de leur enfance à toutes deux.
    L’œil d’Eloïn pétilla.
    — Où se trouve-t-elle ?
    — Sous les solives.
    Elle tourna les talons aussitôt, comme happée par une main invisible. Une dernière question avant de lui emboîter le pas :
    — Guenièvre y est-elle montée après la mort de sa sœur ?
    Il sourit tristement.
    — Elle y demeura enfermée trois jours et trois nuits sans accepter seulement de boire ou de manger.
    — Merci, Mauray, répondisse.
    Il haussa les épaules, me laissa partir, presque à la course. Tandis que je grimpais les escaliers, relevant le bas de mon bliaud pour ne pas trébucher, je songeais que ce lieu, retrouvé dans l’espoir de réponse à ma stérilité, allait peut-être en amener d’autres au cœur de ma propre fille. Car, de fait, depuis qu’elle en avait franchi les murs, Eloïn était autre. Une autre d’un temps passé et avec qui j’avais rendez-vous. Maintenant ou jamais.

26
     
     
    J e ne me souvenais pas d’avoir déjà franchi cette vieille porte, basse et moulurée. Pas seulement même d’en avoir eu connaissance. Elle était entrouverte. Je l’écartai davantage. La salle, doucettement éclairée par deux ouvertures, couvrait toute la surface de l’édifice. Encombrée de malles, de tapis, de meubles éventrés par les années, elle semblait ce qu’elle était. Un tombeau pour souvenirs désuets. Le silence n’y était troublé que par les voix de mes hommes, portées par le vent depuis l’étang au milieu duquel, sur une barque, ils péchaient.
    — Là, là, un gros ! C’est un gros, père ! s’impatientait Geoffroy, certainement arc-bouté sur la canne qui pliait.
    Je passai le seuil.
    — Eloïn ?
    Elle ne répondit pas, mais je sentais sa présence, percevais le froissement de tissus. J’avançai de quelques pas. Elle m’apparut, agenouillée sur le sol poussiéreux, fouillant dans une grande malle oblongue au couvercle relevé. Une malle parmi d’autres, mais dont elle paraissait reconnaître chaque effet. Je me glissai délicatement jusqu’à elle. Je savais ces instants où l’univers bascule, où l’on cesse de s’appartenir pour devenir quelqu’un d’autre. J’en avais eu l’expérience. Guenièvre était à mes côtés. La possession n’avait duré que quelques minutes, une vieille femme qui s’était servie de mon corps pour parler à son époux, inconsolable de sa perte. J’avais l’âge de ma fille, et j’en étais ressortie perturbée pendant de longs mois avant d’admettre pour normal ce don. Jamais plus il ne m’avait visitée. Je m’accroupis lentement. Ne pas briser l’enchantement. Ma voix se fit murmure :
    — Aude ?
    Eloïn tourna vers moi son visage. Me sourit.
    — J’ai perdu ma pierre de lune. Peux-tu m’aider ?
    Mon cœur se serra. Une pierre de lune. Aude de Grimwald possédait une pierre de lune. Instinctivement, ma main chercha à mon col avant de se rabattre dans l’entrelacs des bliauds aux couleurs fanées. Etait-ce celle-ci que Merlin avait glissée à mon cou le jour de mon initiation, avant de me la reprendre à la guérison de Jaufré ? Si cela était, comment aurait-il pu la remettre en ce lieu, lui qui n’était plus qu’énergie pure ? Mauray ? Etait-ce Mauray qui l’avait fait ?
    Eloïn arracha une toile grossière, laissa échapper un petit cri de surprise. Elle me la brandit sous le nez.
    — J’ignorais que tu l’avais conservée.
    Me prenait-elle pour sa sœur en cet instant,

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