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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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retravailla ses textes, en présenta nouvelle mouture, obtint des concessions. Mais son humeur restait amère. Le ton avec lequel il soulignait le nom de Becket indiquait clairement combien la haine avait désormais supplanté l’amour et l’estime en son cœur.
     
    Les jours, les semaines, les mois filèrent, maussades et pluvieux, jusqu’à la fin du printemps. Dans le port de Londres, pourtant, le va-et-vient des navires révélait l’opulence retrouvée du royaume. On y venait des Flandres pour acheter la laine des abbayes cisterciennes, et il n’était pas une seule taverne qui ne servît du vin d’Aquitaine. Les coffres étaient pleins, les bonnes gens joyeux. Aliénor, elle-même, était épanouie malgré ses quarante-deux ans et ses nombreuses grossesses. Elle portait le teint vif, avait retrouvé la finesse de sa taille, la souplesse de ses hanches, le velouté de sa peau. Au lieu de s’en féliciter avec elle, Henri se rongeait de rancœur. Il ne la touchait plus, ne gagnait pas même sa couche pour y dormir, entrait dans d’absurdes colères puis, ayant épuisé son irascibilité auprès de ses proches, il s’absentait sans prévenir, avec quelques familiers dont il avait fait sa garde. Il ne revenait qu’au bout de plusieurs jours, sans explications mais d’humeur plus agréable, organisait moult distractions pour ses gens, se parait d’exquises délicatesses pour chacun et chacune et déployait alors, pour la reine, des trésors d’attention.
    Avec l’été revenu et la tiédeur de l’air, nous reprîmes nos errances d’un bord de l’île à l’autre, poussant même jusqu’en Irlande pour consolider l’amitié d’un roi qui conservait vivantes les traditions celtiques. J’y étais reçue chaque fois avec le même respect. Henri disait que j’étais son meilleur atout contre la guerre, me rendant un sentiment d’utilité. Je percevais néanmoins, sous le phrasé aimable, la teinte de son amertume, tant il regrettait mon amitié retrouvée pour Becket au moment où tout en lui l’exécrait. Appelé régulièrement ailleurs pour ses affaires, il ne passait que peu de temps à nos côtés. Aliénor, qui en était coutumière, s’en contentait. De fait, par ces belles journées ensoleillées, battre campagne était un plaisir renouvelé. Nous déjeunions sur une herbe grasse et épaisse au pied des maisons rouges du Devon, des ruisseaux chantant ou des fermes aux pierres ocrées de Sherbonne, piquions un galop dans les vais boisés de Woodstock, assistions aux débats enflammés des universitaires ou aux cours magistraux de leurs maîtres à Oxford. Fin août nous ramena même à Tintagel, pourvu désormais d’un pont qui enjambait le vide causé par l’épée d’Arthur. Les travaux, achevés, furent l’occasion d’un grand banquet qui, cette fois, ne fut marqué par rien d’autre qu’une exceptionnelle nuit d’étoiles filantes. La cour se distrayait avec ses chasses, ses jeux d’extérieur, ses petites intrigues amoureuses, ses ragots de palais qui faisaient pouffer les unes, rougir les autres et pleurer d’autant. Avec le même sentiment. Il fallait user et abuser de ce que l’été offrait de légèreté. Ses dispenses disparaîtraient trop vite sous le velours glacial de l’automne puis de l’hiver, et il faudrait de nouveau oublier la richesse des parfums, s’emmitoufler au lieu de laisser les chairs se dénuder, trompant les élans du corps dans la surveillance étroite, défendue et hostile des prélats, des douairières ou des maris.

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    U ne méchante toux avait pris Jaufré par traîtrise et la fièvre le tenait depuis cinq jours, malgré mes médications. Je ne quittais plus son chevet, la peur transpirant chaque pore de ma peau, nouant ma gorge d’un sentiment d’impuissance. Je n’étais pas habituée à ce qu’il fût souffrant. De fait, depuis que Merlin avait guéri en lui les stigmates de son étrange maladie survenue en Tripoli, il affrontait les saisons avec une désinvolture aussi grande que la mienne ou que celle des enfants. Je guérissais les autres. Les miens n’en montraient pas besoin. Du coup, j’avais refusé que quiconque à part moi l’approche. Pour le voir si faible, si délirant à certains moments, je craignais autant sa perte que la contagion. Mes repas étaient déposés devant la porte sur un plateau de bois jeté ensuite au feu, mes excréments comme les siens atterrissaient directement du pot à un puits de terre

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