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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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je récupérai le sceau de Louis dans la bourse pendue à ma ceinture pour le tendre à Becket.
    Il fronça les sourcils à sa vue.
    — Prenez, Thomas. Il me vient du roi de France lui-même et vous assurera terre d’asile.
    Il secoua la tête.
    — Mais je ne veux pas fuir, ma petite sorcière.
    — Vous le ferez pourtant, car je veux croire que ce sauf-conduit ne m’a été donné que pour conjurer le sort funeste que j’ai entrevu pour vous autrefois. Quittez l’Angleterre, Thomas Becket. Et laissez-moi agir dans l’ombre pour réduire les griefs d’Henri, opposer la raison à Rosamund Clifford, sauver le royaume. Que sais-je ! Je refuse d’admettre que la partie soit jouée.
    Il écarta ses bras et je m’y blottis, avec cette tendresse profonde qui me liait à lui, la tête contre son torse, acceptant d’écraser contre sa poitrine le lin du cilice.
    — Quittez la place dès ce soir. Je vous fournirai des mercenaires pour couvrir votre retraite.
    — Non, non, Loanna. J’aurai plus de chance dans la discrétion des petites gens. Ils m’aideront. Quoi que le roi dise ou fasse, ils m’aideront.
    Je m’éloignai de lui. Nos regards se joignirent avec la complicité de la première heure. Le sien était serein face au mien, désarmé. Il caressa ma joue du revers de son index.
    — Cessez de vous inquiéter, Loanna de Grimwald. Je suis aussi teigneux et aussi obstiné qu’Henri. Sitôt que je serai sous la protection du roi de France, fort du poids de l’Eglise, je le mettrai au pas sans que vous ayez besoin de vous en mêler. Croyez-moi, mieux vaut pour l’Angleterre que vous restiez en dehors de notre querelle et de la vérité. Car c’est à vous qu’il revient, si je ne le peux plus, d’assurer la pérennité de l’entente entre Aliénor et Henri. Si ma mort doit en être le prix, j’y suis depuis longtemps préparé.
    L’âme douloureuse, je hochai la tête. Son sacrifice d’aujourd’hui rejoignait le mien d’hier. Que pouvais-je lui objecter ?
     
    Dès le lendemain, apprenant cette fuite qui confirmait, aux yeux de tous, la culpabilité de son ancien chancelier, Henri faisait boucler les ports et lâchait ses meilleurs limiers.
    Tandis que, toute de fausseté, je partageais le courroux de mon roi, me réjouissais de la santé revenue de Jaufré et de la passation des pouvoirs druidiques en Eloïn, Becket sillonna les routes, mendia quelques denrées, plongea dans les taillis à la moindre alerte, se réconfortant du soutien des gens. Oui, on savait de quoi il était accusé, des placards couvraient le royaume. Mais une rumeur plus grande courait, faisant état de sa générosité envers les plus démunis, et l’on voulait croire, partout, que Becket n’avait délesté le roi que pour mieux adoucir les maux du bas peuple. Partout il trouva chandelle amie. Il parvint ainsi à son but, dans la nuit du 1 er au 2 novembre de cette année 1164.
    Profitant d’une aube brumeuse qui lui permettait sans crainte de longer les quais, il avisa un navire en phase d’appareillage. Il se jeta à l’eau, s’accrocha à l’ancre qu’on remontait puis, invisible aux yeux des matelots appliqués à leurs manœuvres, il descendit dans la cale. Tremblant de froid dans ses vêtements trempés, il se glissa au plus noir de son renfoncement, se coinça entre deux pyramides de fûts solidement amarrés puis se frotta les épaules vigoureusement, activant le crin du cilice sous ses vêtements civils. Son sang ainsi fouetté, il se mit à prier entre ses lèvres violacées.
    Indésirable comme ces rats qui frôlaient ses chevilles, il quittait l’Angleterre.

33
     
     
    R osamund Clifford avait toujours été belle. Lorsqu’elle était enfançonne, on s’ébaubissait devant ses joues diaphanes au pastel velouté et ses boucles sombres aux reflets cuivrés. À l’âge des premiers pas, c’étaient ses yeux rieurs, entre le cuivre et l’or, qui attiraient les bras. Jouvencelle, elle marqua autant de grâce qu’elle paraissait de bonté, semblant danser sur un fil invisible tandis que d’autres marchaient. Sa taille était fine, sa poitrine ronde et haute, ses hanches émoussées. Quant à ses chevilles ou ses pieds, discrètement révélés à l’occasion d’une montée d’escalier, ils semblaient dessinés pour sublimer toute chausse. Rien pourtant n’attirait autant l’attention que son sourire. Ponctué en haut de chaque joue par une fossette, il s’étirait du matin au soir,

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