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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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J’étais venue au monde pour servir l’Angleterre et Henri, l’aider à grandir sa puissance, sa suprématie, comme toutes celles de ma lignée avant moi.
    Aliénor faisait partie de ce tout, comme un pion sur un échiquier. C’était à Henri que je devais fidélité, pas à elle. Et pourtant… Depuis le premier instant où elle était entrée dans ma vie, je l’avais aimée. Aimée dans ma chair. Aimée dans mon âme. Aimée dans mon cœur. Plus que mon roi. Autant que Jaufré. Et, de fait, quelle place avais-je encore auprès d’Henri ? Peu à peu, il m’avait écartée. Par cet amour qu’il m’avait voué, possessif, égoïste et exclusif jusqu’à la violence, par sa complicité avec un Becket corrompu, déshumanisé, par son silence à propos de Rosamund. N’avais-je pas tout sacrifié pourtant pour le mener sur le trône ? N’avais-je pas, trop d’années durant, repoussé Jaufré quand mon cœur me hurlait sa souffrance, quand je le voyais dépérir, mon troubadour, de ma feinte indifférence ? Au point de l’avoir laissé partir pour Tripoli quand il avait tant besoin de ma présence, au point d’avoir failli le perdre là-bas, seul, par le simple fait d’avoir désuni nos deux âmes ? Henri ! Henri ! Qu’avais-je reçu en retour pour tout ce temps gâché, ces combats de l’ombre contre moi-même, pour la voix merveilleuse de Jaufré perdue à jamais ? Rien. Rien ! Henri m’avait rendu la liberté que j’avais réclamée avec trop de facilité pour que j’aie pu croire un seul instant, depuis que j’étais revenue en son sillage, qu’il avait encore besoin de moi. Il gouvernait seul. Il avait toujours gouverné seul. Malgré les concessions qu’il avait accordées à Aliénor dans un semblant de pouvoir ou de dérogation. Si je disparaissais avec elle, en serait-il seulement attristé ? J’en doutai. N’avait-il pas souri devant la tendre affection qu’Eloïn vouait à Richard quand l’emperesse Mathilde m’avait, elle, rappelé que c’était vers Henri le Jeune, héritier du trône, que ma fille se devait tourner ? Mon roi avait eu un balancé de la main et ces mots que je n’avais réussi à oublier :
    — Laisse donc Eloïn servir qui lui plaît, mère, la lignée de Merlin s’est éteinte avec le début de l’empire Plantagenêt.
    La lignée de Merlin. J’avais pu constater pourtant à quel point elle était vive encore, malgré le peu de crédit qu’Henri lui accordait ! Se souvenait-il seulement de la prophétie ? « L’aigle de l’alliance brisée se réjouira en sa troisième nichée. » L’aigle… N’était-ce pas ainsi qu’Aliénor s’était présentée à moi ? N’était-ce pas ainsi qu’Henri lui-même me l’avait désignée ? La troisième nichée. Si ses frères venaient à disparaître, comme, hélas ! ma prescience me le laissait à craindre, Richard serait le prochain roi d’Angleterre. Il trouverait près de lui Eloïn pour le guider, comme elle le faisait depuis sa naissance, comme les grandes prêtresses d’Avalon, dont nous étions toutes deux les descendantes, l’avaient toujours fait. Une place qu’Henri ne conserverait pas plus à ma fille qu’à moi de son vivant, si Aliénor n’était là pour la lui imposer. Et il faudrait qu’il s’étonne encore que cette fois j’en aie assez ? que je le repousse sans regret ? certaine qu’Aliénor était plus digne que lui de mon respect, de mon soutien ? de cette couronne ?
    Alors je me dressai, les yeux rivés à ce ruisseau pourpre qui, s’échappant lentement du ventre d’Aliénor, noyait le lion sur lequel elle s’était étendue, de son ultime geste de fierté. Elle devait vivre. Elle devait vivre pour l’Angleterre et pour Richard. Fût-ce contre Henri. Ne m’y étais-je pas déjà, depuis longtemps, préparée ? Ne lui avais-je pas, moins de une heure plus tôt, renouvelé mon serment de fidélité ?
    La porte s’ouvrit alors que je découpais son bliaud souillé d’un couteau à fruit récupéré sur une tablette. Eloïn parut, le front grave. Je n’en fus pas surprise. Du haut de ses quatorze ans, ses pouvoirs supplantaient les miens, autant par ses prémonitions que par sa gestuelle. Comme souvent depuis qu’elle avait guéri Jaufré, je m’écartai pour la laisser agir auprès des malades ou des blessés. Aussitôt, elle imposa les mains sur ce ventre immobile. L’écoulement se raréfia jusqu’à cesser. Le front ruisselant de son effort,

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