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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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Sans hésiter, le tien, affirmai-je en lui ouvrant le chemin.

36
     
     
    C ’est la tête haute et l’œil pétillant d’une feinte gaîté qu’Aliénor lança la partie. Aussitôt, le premier groupe s’éparpilla, qui en courant, qui en riant, qui sur la pointe des pieds. Le second groupe, assis confortablement, se mit à regarder la pendule au mur. La règle voulait qu’on laissât une heure filer avant que les poursuivants ne se mettent en quête de leur gibier. Une fois trouvé, il était porté prisonnier et se voyait épinglé d’un ruban aux couleurs de son geôlier. Chaque partie durait deux heures et voyait les rôles s’alterner. Ensuite, on comptait les points et la reine distribuait les récompenses. Rosamund Clifford était dans le premier groupe, celui des cachés. Aliénor et moi aussi. Nous partîmes ensemble toutes trois, pour nous séparer au bas d’un escalier en nous souhaitant bonne chance. Je rejoignis Aliénor quelques minutes plus tard, dans la bibliothèque. Une coursive secrète permettait, depuis l’endroit, de rallier les appartements royaux, à l’étage au-dessus. Elle ne servait qu’en cas de danger mais son mécanisme était entretenu et, en dehors du roi et de la reine, seulement connue du grand chancelier. Devenues des ombres au cœur même de la muraille, nous grimpâmes une volée de marches puis avançâmes sans bruit à l’horizontale, l’une derrière l’autre. Malgré un air vif puisé au-dehors par de fines meurtrières à hauteur de nez, j’éprouvai le détestable sentiment d’étouffer. Davantage sans doute qu’Aliénor, rongée de doutes. Nous laissâmes l’étroite voie qui, à droite, menait à sa chambre, pour emprunter celle de gauche. Quelques toises d’un pas égal, amorti. Un mur se dressa enfin devant nous.
    — Nous y sommes, confirma la reine, en me pressant la main.
    Elle étouffa la flamme de sa lampe à huile. L’obscurité nous enveloppa, me laissant plus encore percevoir le désordre des battements de mon cœur. Mais peut-être étaient-ce les siens ? Elle fit jouer un taquet de bois vertical, libérant une des meurtrières qui couvrait le pan nord de la chambre. Henri nous apparut dans une lumière tamisée par l’épaisseur des rideaux. Il était assis dans un fauteuil confortable, face à la cheminée et à proximité d’une chandelle. D’une main, il tenait un livre à hauteur des yeux, de l’autre, il caressait mollement un de ses chiens. Il était seul. Nous prîmes patience. Immobiles. Silencieuses. Combien de temps faudrait-il à l’infâme pour arriver jusqu’à lui ? Prendrait-elle des chemins détournés pour ne pas attirer l’attention, ou, conquérante, se risquerait-elle au plus tôt ? Par ce passage, nous avions pris de l’avance sur elle, quoi qu’elle décide. J’en étais à cette déduction lorsque la porte s’ouvrit. Henri prit l’air mauvais avant de relever le nez de son ouvrage. Sans doute avait-il donné des ordres pour qu’on ne le dérange pas. Je n’eus pas besoin qu’Aliénor pressât douloureusement ma main pour m’avertir, le soudain embrasement des traits du roi me convainquit que son amante venait de pénétrer dans la chambre. Dans son impatience à se dresser, il lâcha le livre à terre. Ils se rejoignirent sous nos yeux en une étreinte si fougueuse que les ongles d’Aliénor s’enfoncèrent au sang dans le dessus de ma main.
    — Folie, folie, douce folie, répétait Henri entre deux embrassements, Rosamund à son cou, fouillant sa bouche d’une ardeur exacerbée par le danger.
    Cette migraine qui le tenait à l’écart depuis le matin s’envola dans le parfum de myrtille des lèvres gourmandes, dans les caresses de ces doigts qui, depuis sa nuque, arrondissaient ses épaules, sa taille, ses fesses. Une étreinte d’homme, de conquérant, songeait-elle, le corps aux abois devant son vit dressé. Il s’en arracha pourtant, les mains posées sur les joues de sa dame. Planta son œil douloureux dans le sien, aimant. Elle sourit.
    — Pas d’inquiétude, mon roi. Une partie de caché-trouvé tient la cour et la reine. Nous avons du temps. Tout le temps.
    Il la reprit sur son cœur. La berça, les yeux clos, le visage douloureux d’un amour trop grand.
    — Je t’ai cherchée, toute la nuit. Tu apparais, tu disparais. Voulais-tu me rendre fou ?
    Elle rit.
    — Non, non, Henri, seulement vous donner la mesure du sort auquel, depuis trop longtemps, vous me contraignez. Je

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