Le règne du chaos
arrivera. Quant à Lanercost, mes frères m’ont prié…
Je lui résumai ce qui s’était passé, sans taire mes soupçons : Lanercost avait dû être attiré dans le clocher et assassiné. Je ne lui fis pas part de mes mésaventures. Je voulais garder la tête froide, même si de solides suspicions me rongeaient le cœur. Lanercost avait été occis juste après que nous lui eûmes appris le décès de son frère. Nous avions fait naître l’idée que Geoffrey avait, sans le vouloir peut-être, transmis un renseignement reçu de son frère John à quelqu’un d’autre, qui avait ensuite informé Lisbonne et provoqué ce carnage. Un mystérieux inconnu en faisait-il grief à Lanercost et avait-il décidé de se venger ? Était-ce les templiers ? Avaient-ils dépêché un tueur au prieuré pour exercer une justice sommaire ? Je dévisageai Demontaigu : ses beaux yeux me rendirent un regard perspicace. Que Dieu me pardonne, je m’interrogeai un moment sur les templiers jusqu’à ce qu’un second Aquilae périsse.
CHAPITRE III
~
Finalement le royaume d’Écosse fut librement offert à Robert Bruce
Les deux journées suivantes furent consacrées aux affaires de la maisnie. Isabelle, qu’inquiétaient les nouvelles venues du Sud, ordonna aux gens de sa suite d’être prêts à partir au pied levé. Je surveillai l’empaquetage de la garde-robe, par exemple six livres de soie pour les atours, vingt livres de fil d’argent, quatre douzaines de mantes, trente paires de bas, dix chemises, un bliaud fait de trois épaisseurs de lin, du gros linge et quarante tuniques de soie. Les cassettes à bijoux de la reine furent remplies de rubis, de saphirs, d’émeraudes et autres gemmes, puis fermées, scellées et placées dans des chariots. Pendant ce temps, Isabelle faisait rédiger et expédier des missives, tant à ses officiers à l’Échiquier de Westminster qu’à l’hôpital royal de Sainte-Catherine près la Tour, qu’elle couvrait de largesses. Elle voulait que tout un chacun comprenne que, bien qu’exilée dans le Nord, elle ne négligeait en rien ses intérêts, que ce soit à Westminster, à Londres ou ailleurs. J’avais aussi des tâches médicales : usant d’une large feuille de plomb posée sur un socle de chêne, je préparais des électuaires, je mélangeais des graines de paradis à de la cannelle ou bien je confectionnais différents onguents pour mes pots. Isabelle, quant à elle, était florissante mais continuait de se taire et de garder ses pensées par-devers elle, comme si elle remâchait en silence un grief qu’elle ne pouvait partager avec moi.
Dans les quelques jours qui suivirent la mort de Lanercost, la messe de requiem des Aquilae et l’enterrement précipité dans le carré des roturiers du cimetière franciscain, Édouard convoqua son conseil privé dans le parloir du prieur. Je me souviens si bien de tous les détails ! La pièce était sans mentir magnifique avec sa cheminée de marbre à hotte construite contre le mur donnant sur l’extérieur. Bien qu’on fût au printemps, des bûches de pin parsemées d’herbes sèches pétillaient gaiement en parfumant l’air. Le temps s’était mis au froid. Une pluie glaciale tambourinait sur les petits oriels aux meneaux et aux croisillons peints, et les courants d’air faisaient danser les rideaux de lin aux vives couleurs. Chaires, tabourets et bancs repoussés, une grande table de chêne entourée de sièges tendus de cuir trônait dans la salle. D’épais et luxueux tapis turcs couvraient les dalles ornées de devises héraldiques, tandis que sur les murs, à côté de brillantes fresques évoquant des scènes de la vie de saint François, des tapisseries et des tentures prônaient les plaisirs de la chasse. Sur un vaste dressoir, en face de la cheminée, des plats sertis de pierres précieuses, de la verrerie vénitienne et de l’orfèvrerie de Damas scintillaient à la lumière des innombrables chandelles de cire vierge et des torches brûlant avec ardeur dans leurs supports fixés en hauteur dans le mur. C’était la chambre du roi, où Édouard et Gaveston se retiraient pour discuter de la crise qui n’en finissait pas. Ils parlaient, parlaient, mais agissaient peu. Se méfiant de tout le monde, ils préféraient se tapir dans quelque endroit qu’ils jugeaient sûr. Avec ses murs épais, sa porte solide, le vaste parloir du prieur était un refuge idéal, sans judas, sans fente pour les épieurs, sans
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