Le règne du chaos
voyage royal à travers le royaume.
Le souverain en vint enfin à sa conclusion. Gaveston partirait avant la fin de la journée pour le château de Scarborough. Il s’interrompit, puis demanda qui accepterait de l’accompagner. Le profond silence qui s’ensuivit fut une réponse éloquente à sa question. Causa finita – c’en est fini. Il en allait de même pour Gaveston !
Ce dernier jeta un regard suppliant autour de lui. Je comprenais la situation horrible dans laquelle il se trouvait. S’il était enfermé à Scarborough, à l’exception de ses Aquilae à présent réduits en nombre, il serait seul. Le roi, de plus en plus affolé, poursuivit son extravagant discours : il fallait des témoins de peur qu’on ne fasse du mal à son « doux frère ».
Dunheved se porta volontaire. Isabelle me regarda et fit un signe de tête imperceptible. J’acceptai à contrecœur. Henry Beaumont et les siens m’imitèrent. La réunion terminée, je rejoignis ma maîtresse qui me remercia.
— Cela vaut mieux, Mathilde.
Elle me caressa les cheveux, puis prit mon visage entre ses mains.
— C’est ma façon de montrer à mon époux que j’estime encore que tout n’est pas perdu. Il faut que vous et Demontaigu accompagniez Gaveston.
— Ensuite ? m’enquis-je.
— Veillez, répondit-elle.
Je pensai à Gaveston cloîtré au château de Scarborough.
— Qu’en est-il du roi ?
— Il ne peut rester là-bas, reclus, coupé de son royaume, m’expliqua Isabelle d’un ton soucieux. Il doit aller vers le sud et tenter de trouver de l’aide, négocier des emprunts auprès des marchands de Londres. Je…
Elle s’interrompit et se détourna un peu, une posture qui dénotait son inquiétude. Je pressentis ce qui allait se passer.
— Scarborough sera en état de siège, n’est-ce pas ? questionnai-je. Le roi ne veut pas que vous ou lui soyez à la merci des barons.
— Et ?
— Quelqu’un peut être appelé à traiter avec eux, quelqu’un qu’ils jugeront convenable.
J’esquissai un petit sourire.
— Stephen Dunheved, par exemple, le dominicain, et moi, domicella reginae camerae – dame de la chambre de la reine –, des fidèles au courant des affaires royales.
— En effet, Mathilde.
— Ainsi que les Beaumont, ajoutai-je avec amertume, eux qui, j’en suis certaine, ont un pied dans chaque camp.
— Oui, Mathilde, murmura Isabelle. Mes doux cousins, insaisissables comme des anguilles, tortueux et cauteleux, qui ne cherchent que leur profit.
— Pourraient-ils être les félons de Tynemouth ?
— C’est possible. Vous m’avez parlé du morceau de tissu et du bouton portant trace de leur livrée, trouvés près de la trappe de l’ossuaire. Les Beaumont tissent la toile de leurs propres noirs desseins.
— Pourquoi vous auraient-ils trahie auprès des Écossais ?
— Je l’ignore.
La reine eut un sourire énigmatique.
— Peut-être pour faire impression auprès de Bruce, attirer son attention, entrer dans ses bonnes grâces. Ils possèdent, en Écosse, des domaines fort prospères : des champs fertiles, des prairies luxuriantes, des forêts denses et des rivières regorgeant de saumons.
— Et les Aquilae ? Les Beaumont auraient-ils trempé dans leur trépas ?
— Mathilde, s’il le voulait, Henry Beaumont pourrait en remontrer même à Judas. Il est vrai qu’ils sont assidus autour du trône. Ils flattent et cajolent le roi et Gaveston, mais, en fin de compte, ils ne s’intéressent qu’à une seule chose : eux-mêmes.
— Mais pourquoi auraient-ils tué les Aquilae ?
— Pour affaiblir Gaveston. Pour l’acheminer vers la mort. N’est-ce pas ainsi que procèdent ceux qui ourdissent un assassinat ? Ne commencent-ils pas par supprimer les gardes ?
Je citai le fameux aphorisme de Juvénal.
— Quis custodiet custodes ? Qui gardera les gardiens ?
— C’est tellement vrai, releva Isabelle en se rapprochant.
Sa figure, encadrée d’une guimpe blanche, était resplendissante de beauté avec sa peau lumineuse, ses yeux d’un bleu soutenu, ses lèvres rouges et pleines à peine entrouvertes.
— J’ai étudié avec grand soin mon époux, Mathilde. Je connais son âme. C’est un être solitaire, vulnérable. Éléonore, sa mère, est morte alors qu’il n’était encore qu’un enfant. Le roi, son père, était trop occupé à tailler les Écossais en pièces ou à comploter contre mon propre père pour se soucier de lui. Il y a
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