Le règne du chaos
sa porte au cœur de la nuit. Il était alors sorti sur le palier et avait ouï un murmure, comme si une bande de démons en chasse complotait dans la pénombre en bas. Son récit me fit frissonner. Les morts marchent parmi nous. Les diables rôdent dans les coins pour épier les affaires des hommes. Rien ne les attire plus vite que le festin du meurtre, un banquet de sang chaud répandu sous l’effet de la colère. Je crois le prêcheur qui affirmait que Satan ne nous étudie jamais plus attentivement, les babines retroussées de plaisir, que lorsqu’il distingue un autre fils, une autre fille de Caïn, ce père du crime.
— Voulez-vous vous confesser ? interrogea Demontaigu. Être absous ?
Rosselin le regarda d’un air morne.
— Trop tard, trop tard, chuchota-t-il avant d’ajouter ces lugubres paroles : Nous avons signé un contrat avec l’Enfer, un accord avec la mort.
— Gaveston, votre maître, ne peut-il rien pour vous ? voulut savoir Dunheved.
Rosselin ne l’écoutait pas vraiment.
— Nous avons volé si haut, marmotta-t-il, baignés dans sa lumière. Et voilà, noircis et brûlés, que nous retombons ainsi que des pierres.
— De grâce, suppliai-je, vos quatre compagnons ont été tués. Ne pouvez-vous nous aider à les venger ? Obtenir que l’on fasse justice contre leur assassin ?
— Je ne sais. Oui, nos péchés nous rattrapent.
Il se redressa.
— Qui les a occis ?
Il hocha la tête.
— Comment ? Pourquoi ?
Il haussa les épaules.
— En châtiment.
— De quelle faute ?
Il leva la main.
— Je fais mon choix, vous faites le vôtre. Mathilde de Westminster…
Il prononça mon nom avec lenteur.
— … surveillez votre maîtresse. Elle est rusée comme un serpent.
— C’est absurde ! ripostai-je. Voulez-vous insinuer que Sa Grâce a trempé dans ces morts ?
— Rusée comme un serpent !
Il se tut soudain, semblant se rendre compte pour la première fois à qui il s’adressait. Puis il bondit, grommelant qu’il devait aller servir Lord Gaveston, et partit d’un pas rapide. Nous le regardâmes s’en aller.
— Voilà un homme condamné à mort, observa Demontaigu. Je me demande s’il restera ici ou s’enfuira.
— Où donc ? intervint Dunheved en se mettant debout. Où trouver refuge ?
— Peut-être pourrons-nous au moins découvrir ce que pensait Middleton, déclara Bertrand.
Il ouvrit son escarcelle d’où il sortit une petite clé massive.
— Je l’ai trouvée sur son cadavre ; c’est sans doute celle de sa chambre.
CHAPITRE VIII
~
Le siège avait commencé,
les secours promis n’arrivaient pas,
les vivres manquaient au château
La chambre du défunt se trouvait au premier étage du majestueux donjon, juste sous celle de Rosselin. La clé correspondait à la serrure. Nous entrâmes dans la pièce. Ce fut une épreuve : tout étant propre et rangé, on aurait dit que Middleton allait revenir. Les couvertures avaient été remontées. Des vêtements pendaient à des patères. Une paire de bottes et des souliers souples avaient été poussés sous la table de travail supportant un pichet et des gobelets d’étain. Au fond, le coffre et l’arche étaient clos par des fermoirs. Seules les chandelles, dont la flamme vacillait sous leur calotte de métal, trahissaient l’agitation de Middleton. Elles avaient été disposées sur la table autour d’un triptyque représentant la Passion du Christ, ainsi que sur le sol, sous un crucifix en if grossièrement taillé accroché au mur. Middleton y avait entrelacé son chapelet. Sur le pupitre de nombreux insignes en étain, vénérant saint Christophe, le patron de ceux qui redoutent la soudaine malemort, dessinaient une croix. Le petit psautier, à côté, avait été feuilleté à maintes reprises, surtout le passage contenant la prière à saint Christophe. Middleton avait griffonné ses pensées sur les pages blanches à la fin du volume :
Vous nous avez servi du vin qui nous a enivrés.
Les larmes ont fait fondre mes yeux.
La vision que vous nous avez offerte a été trompeuse et mensongère.
L’envol ne sauvera point l’oiseau. L’archer ne résistera pas, le cavalier est pris au piège.
— Tout comme il en allait de lui, murmurai-je en tendant le psautier à Dunheved. Une âme déchirée par la culpabilité et la peur. Il a compris que la mort l’avait marqué de son sceau.
Le dominicain lut le psautier pendant que Demontaigu et moi nous
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