Le règne du chaos
des cris et des appels montaient des cours. Je m’appuyai contre les créneaux et méditai. Comment cela finirait-il ? Scarborough était une nasse. Pourrions-nous nous esquiver ?
Plus tard, ce jour-là, Gaveston convoqua un de ses conseils privés. J’en étais, ainsi que Dunheved, Rosselin, les Beaumont. Ces derniers apparurent dans toute leur splendeur, débordant d’interrogations sur le décès de Middleton et l’éventuelle arrivée du souverain. Plus j’observais et tendais l’oreille, plus je comprenais pourquoi les Beaumont avaient planté leurs étendards avec tant de résolution près de ceux du favori. C’étaient des aventuriers, des joueurs. Si Gaveston survivait, il serait leur débiteur. S’il tombait, le roi se souviendrait de leur loyauté et peut-être pourraient-ils prendre la place du favori à la Cour ainsi que dans le cœur d’Édouard. Tout aussi important, ils restaient proches de la Chambre royale : ils pouvaient de cette façon épier, écouter ce qui se disait au conseil, garder un œil vigilant sur leurs domaines en Écosse. Quoi qu’il en soit, les Beaumont, ayant enfin saisi de quel côté le vent soufflait, étaient parvenus à une conclusion. Gaveston étant en grand danger, l’heure était venue pour eux de décamper, du moins quelque temps. Henry demanda à voix haute pour quelle raison ils devaient rester là. Quelles troupes le roi amènerait-il ? Ce parler cru eut peu d’écho. Gaveston, brisé, affalé dans sa chaire, agita la main en évoquant vaguement le monarque en marche avec des masses de recrues. Il était clair qu’il avait beaucoup bu, qu’il déplorait ouvertement la disparition de Middleton et celle des autres Aquilae, tués sans pitié. Il m’assaillit de questions en glapissant, se leva et se dirigea vers Rosselin. Il lui tapa sur l’épaule en promettant que l’un des archers d’Ap Ythel assurerait sa protection jour et nuit. Dans cette pièce poussiéreuse, où le soleil, passant par les meurtrières, éclairait le plâtre écaillé et les couleurs fanées des écus bosselés accrochés aux murs, le miroir se ternit davantage encore. Gaveston se rassit, bredouilla à propos du passé glorieux de ses bien-aimés Aquilae, puis nous congédia d’un geste de la main.
Plus tard, des nouvelles nous parvinrent. Trempés de sueur, gris de poussière, des courriers royaux, aussi prompts que l’éclair, franchirent le portail et se jetèrent à bas de leur monture en agrippant les sacoches de missives qu’ils apportaient. Nous attendîmes quelques instants. L’arrivée du roi ne fut pas mentionnée, mais les grands barons, eux, approchaient. Édouard se réfugiait à York. À ma grande surprise, la reine s’était séparée de son époux et se trouvait maintenant au manoir royal de Burstwick, dans la péninsule de l’Humber. Encore plus curieux, une puissante escadre de cogghes de guerre françaises avait surgi. Elle croisait dans l’estuaire de l’Humber, bannières et pennons baissés en signe de paix. Les déboires se multipliaient. Les graines étaient semées, qui, bon an mal an pendant les décennies à venir, porteraient chacune son fruit nocif.
Nos appréhensions s’accrurent. En dépit des strictes consignes de Gaveston, le bruit se répandit qu’il y avait dans le trépas de Middleton quelque chose de diabolique, comme si Satan, le Malin, le prévôt de l’Enfer, avait planté son camp dans cette sinistre forteresse. Même dans la journée, lorsque le soleil brillait dans un ciel bleu sans nuages, la peur de la nuit et le glissement dans les ténèbres nous taraudaient. La lumière du jour disparue, d’étranges bruits résonnaient dans le château. Une voix sépulcrale mugissait dans de caverneux passages voûtés. On apercevait des lumières et des feux là où ils n’auraient pas dû se trouver. Des gémissements, des cris incongrus retentissaient dans les couloirs de pierre déserts. Une histoire en entraînait une autre. Une chauve-souris se transformait en démon ailé. Le cri d’un oiseau de nuit était celui d’une âme accablée, peut-être celle de Middleton encore attachée à la terre par les lourdes chaînes du péché. Gaveston fuyait de plus en plus la compagnie. On voyait peu Rosselin et, lorsque c’était le cas, il était fin soûl. L’un des archers d’Ap Ythel gardait sans cesse sa chambre. Les rares fois où je rendis visite à l’Aquilae, il ouvrit d’abord le judas installé en haut de la porte et
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