Le retour
rôties.
Cet
après-midi-là, il entra chez Elroy à l'heure habituelle, portant à la main son
goûter et La Presse. Il n'avait qu'une hâte, c'était de se retrouver seul dans
l'édifice pour pouvoir lire son journal en toute quiétude, avec la radio en
sourdine.
- Le boss veut te
voir, lui dit Ronald Bilodeau de retour de sa dernière inspection.
- Monsieur
Boileau?
- Ben oui. Je
sais pas ce qu'il te veut, mais il est passé tout à l'heure pour me demander de
t'envoyer à son bureau aussitôt que t'arriverais.
Le coeur serré,
Gérard prit la direction du bureau du directeur du personnel de la compagnie.
Quand il arriva, la secrétaire était en train de couvrir d'une housse sa
machine à écrire. De toute évidence, sa journée de travail était terminée et
elle se préparait à partir.
- Entrez,
monsieur Boileau vous attend, dit-elle à Gérard en lui ouvrant la porte
capitonnée du bureau du directeur du personnel.
508
Gérard entra dans
la pièce et se retrouva devant le petit homme à l'épaisse moustache grise.
- Assoyez-vous,
monsieur Morin, lui commanda-t-il sur un ton assez sec.
Gérard s'assit
sur l'une des deux chaises placées devant le bureau en chêne.
- Je pense que
vous vous souvenez encore de ce que je vous ai dit quand je vous ai engagé. Pas
vrai?
- Oui, monsieur,
parvint à répondre Gérard, la gorge sèche.
- Je vous ai dit
que nous étions intransigeants à l'égard de nos gardiens pour une seule chose:
les rondes à toutes les heures. C'est une question de sécurité. C'est ça?
- Oui, monsieur.
- J'ai examiné
les bandes de punch. D'après les bandes,
il y a trois
rondes que vous avez pas faites pendant la nuit de mardi. Qu'est-ce qui est
arrivé?
- Ben...
- Est-ce que vous
vous seriez endormi pendant vos heures d'ouvrage, monsieur Morin?
- Je sais pas
trop ce qui est arrivé, parvint à balbutier un Gérard dont le visage était
devenu d'une pâleur inquiétante.
- Bon. Vous
comprendrez, monsieur, qu'on peut pas vous garder plus longtemps, fit Henri
Boileau d'une voix soudainement devenue cassante. Voici ce que nous vous
devons, ajouta-t-il en poussant une enveloppe vers son interlocuteur. Vous
pouvez passer au poste de garde prendre ce qui vous appartient avant de nous
quitter.
- Vous pourriez
pas me laisser une chance, monsieur?
fit Gérard d'une
voix pitoyable. C'est la seule fois que ça m'est arrivé.
509
- Impossible,
monsieur Morin, trancha Henri Boileau en se levant derrière son bureau. Ça a
été une fois de trop.
Je vous souhaite
bonne chance.
Gérard sortit du
bureau, la tête basse, accablé par la malchance qui semblait s'acharner sur
lui. Il revint dans la pièce où il trouva Ronald Bilodeau en grande
conversation avec un homme de taille moyenne dont les cheveux gris fer étaient
rejetés vers l'arrière. L'inconnu cessa de parler en l'apercevant. Sans dire un
mot, Gérard se dirigea vers le réfrigérateur pour y prendre son goûter. Il
endossa ensuite son manteau suspendu au dossier de l'une des chaises.
- Je t'attendais,
Gérard, dit Bilodeau en boutonnant son manteau.
Gérard adressa un
signe de tête à l'inconnu et quitta le poste de garde en compagnie du gardien
de jour.
- Il t'a sacré
dehors? demanda Ronald Bilodeau, la voix empreinte de sympathie.
- Oui, reconnut
Gérard, la gorge serrée.
- C'est pas la
première fois que ça arrive à un gardien de nuit chez Elroy, reprit Bilodeau.
Un jour ou l'autre, c'est forcé, on finit par s'endormir sur la job.
- C'est qui le
bonhomme qui était avec toi?
- Le nouveau
gardien de nuit, répondit Bilodeau.
- Déjà!
- Le gars a été
engagé aujourd'hui et Boileau m'a demandé de lui expliquer ce qu'il avait à
faire, au commencement de l'après-midi. Bon. Vlà mon p'tit char, a jouta t-
il en indiquant
du pouce un tramway qui arrivait. Je te souhaite bonne chance.
Gérard lui serra
la main et partit de son côté, insensible à la neige qui s'était mise à tomber
à gros flocons depuis quelques minutes. Les deux mains enfoncées dans les
poches de son vieux paletot, il attendit le tramway en battant la semelle pour
se réchauffer.
510
Durant tout le
trajet de retour à la maison, il se demanda comment il allait présenter son
congédiement à Laurette.
Il avait eu un
bon emploi pas fatigant et assez bien payé et, tout à coup, il se
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