Le retour de la mariée
l’intention de découvrir la mine pour la déclarer à son nom, ou emporter le trésor sur son dos ? Il faut qu’il ait une tête de linotte pour s’imaginer que les autres vont le laisser faire !
— A quatorze ans, les enfants sont rarement raisonnables, dit Caroline en guise d’excuse.
Dans son for intérieur, elle savait que l’argument ne tenaitpas. On commet des folies à tout âge, elle était bien placée pour le savoir.
— Il va se faire tuer !
— Il ne va pas se faire tuer, affirma Caroline avec force, parce que vous allez le secourir. N’oubliez pas que vous êtes Lucky Logan Grey, l’homme le plus chanceux du Texas !
Il reprit le portrait de Will et l’étudia longuement. Caroline retint son souffle. Peu à peu, son expression se modifiait. D’abord mécontent, il prit ensuite un air pensif avant de soupirer.
— C’est entendu, dit-il enfin, je partirai à son secours, Caroline, et je le ramènerai. Mais je ne compte pas trop sur la chance. Je fais mon devoir de père, voilà tout. A présent, je dois parler avec Holt et Cade. Et puis…
Il allait lui dire quelque chose mais il y renonça finalement, tourna les talons et sortit.
Restée seule en attendant le retour des autres, Caroline eut le temps de mettre de l’ordre dans ses idées. Logan Grey n’était pas une brute irresponsable. En le convainquant d’entreprendre une expédition jusqu’aux confins du Texas, elle remportait la victoire. Mais en se découvrant la fibre paternelle, Logan l’avait autant étonnée qu’il s’était étonné lui-même.
***
Lorsqu’ils voulaient parler de choses sérieuses, les trois amis se retrouvaient toujours au Terminus, le bar que tenait Ella. Ce jour-là, après le whisky des MacBride, Holt Driscoll et Cade Hollister goûtaient la dernière livraison de bière en échangeant des plaisanteries qui les faisaient rire pendant que Lucky Logan ressassait de sombres pensées.
Il était père. Il avait un fils. Un fils qu’il n’avait pas vu grandir.
— Jamais je n’aurais dû faire ça, murmura-t-il pour lui-même en contemplant la mousse qui tremblait au-dessus de sa chope.
Il n’avait pas envie de bière. Pas envie d’entendre lesfantaisies du pianiste, ni les rires racoleurs des filles. Il aurait voulu se trouver dans son lit, au calme, et se rendre compte que toute cette histoire n’était qu’un horrible cauchemar.
Coupable. Il se sentait coupable en pensant à la pauvre Caroline, sans le sou, incertaine d’avoir de quoi manger le lendemain. Elle avait sûrement connu l’enfer.
Il aurait dû se trouver là, près d’elle pour la soutenir, pour protéger son fils, pour les aider tous les deux. Il n’avait été utile à personne, ni à la mère, ni à l’enfant, ni à lui-même.
Comme au Mexique. Comme en Oklahoma. Il ferma les yeux. Le malheur le poursuivait. La malédiction le poursuivait, lui qu’on appelait Lucky, l’homme le plus chanceux du Texas !
Il lança un regard agacé au pianiste. Insensible aux malheurs de Logan, celui-ci semblait décidé à ne jouer que des airs joyeux et entraînants. Il aurait mérité de prendre une chope de bière en plein visage ! Mais, pour ne pas faire de peine à Ella, Logan s’efforça de garder son calme, le regard braqué sur la mousse de sa bière.
Sorti de l’orphelinat, il avait gâché ses années de jeunesse, errant de ville en ville à la recherche d’il ne savait quoi, se louant à qui voulait le temps de gagner quelques dollars pour repartir aussitôt plus loin, ailleurs. Mais en dehors de son instabilité on ne pouvait lui reprocher rien de grave, à cette époque. Quand il avait épousé Caroline Kilpatrick pour la somme de vingt dollars, il était encore, dans son genre, un garçon honnête.
Il n’avait pas encore touché le fond en se mettant au service des frères Wilson, au sud du Rio Grande.
De cette terrible période de son existence, personne ne savait rien. Ce secret, il le gardait pour lui seul. C’est après avoir exécuté les Wilson qu’il était devenu défenseur de la justice et persécuteur des hors-la-loi, jusqu’à se faire une réputation qui lui pesait parfois.
Ces derniers temps, il pouvait se flatter de s’être racheté,d’avoir payé sa dette. Mais depuis quelques heures, il savait qu’il n’en avait pas fini.
Dans le brouhaha du saloon, au milieu des bavardages joyeux de ses amis, un nom lui fit soudain tendre l’oreille.
— La petite-fille de Nana Nellie,
Weitere Kostenlose Bücher