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Le rêve de Marigny

Le rêve de Marigny

Titel: Le rêve de Marigny Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Monique Demagny
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sauvette, Abel avait réussi de belles échappées en suivant « ses yeux » à l’assaut de superbes découvertes, d’étonnants monuments, d’extraordinaires émotions. Et c’était là que Soufflot lui manquait, comme Cochin l’avait si bien pressenti. Il aurait fallu son regard sur toute la Vénétie où l’architecture était à vous couper le souffle. Comment comprendre aussi bien qu’avec lui l’extravagante beauté des villas palladiennes, tout en mesure, tout aussi en mystère ? Vraiment, là, il aurait voulu Soufflot à ses côtés, avec son inspiration, son rêve perpétuel qu’il savait si bien capter par un compas précis. Bellicard était intelligent, compétent, extrêmement appliqué à l’ouvrage, il remplissait sa mission avec exactitude, mais Soufflot avait l’étincelle du génie. Jamais Vandières ne s’étonna, ne s’émerveilla, sans s’interroger sur ce qu’aurait pu être le commentaire de l’architecte. Pour compenser un peu cette absence, Cochin s’était décidément révélé un tout autre homme que le dessinateur à la mode dont il avait la réputation à Paris et à Versailles. Il voyait tout, consignait tout dans ses cahiers, s’immergeait dans les formes changeantes de la beauté. Il était heureux. Un jour, en publiant les commentairesque lui avaient inspirés toutes les œuvres qu’il avait contemplées, il ferait partager son bonheur à ceux qui n’avaient jamais eu la chance de faire le voyage d’Italie. Le Blanc se contentait de déplorer dans un courrier de n’avoir pas seulement le temps « qui serait nécessaire pour prendre note des choses dignes de remarques ».

    Le voyage touchait à sa fin. Gênes était la dernière étape. Vandières avait renoncé au voyage en Languedoc prévu sur la route du retour. Les nouvelles de Tournehem n’étaient pas bonnes. La lettre que Jeanne écrivit le 7 août était chargée d’angoisse. « Je serai bien aise de vous revoir plus tôt. Le plus tôt sera le mieux. » Le 6 septembre elle montra encore une plus grande anxiété. « Monsieur de Tournehem est assez malade. Il me fait trembler. On l’a saigné deux fois hier. Il est cependant mieux aujourd’hui. La fièvre et le toussement ont bien diminué. »

    Vandières avait déjà pris la mer le 13 août. Après un arrêt à Toulon il arrivait à Marseille le 22 août.
    Il était à Paris à la fin du mois de septembre. Monsieur de Tournehem mourut le 19 novembre.

Voilà, c’était fait. Vandières était Directeur des Bâtiments du Roi. Il y avait pourtant à cette réalité quelque chose qui lui restait étranger. Il ressentait bizarrement les événements, comme s’il y avait d’un côté lui, Abel Poisson, et de l’autre cette charge qu’il savait lui appartenir sans réussir encore à intégrer la situation nouvelle. Ce n’était pas la crainte ou la modestie qui le paralysait. Il n’avait jamais manqué de courage et il avait été préparé pour exercer cette charge, il ne serait pas désorienté. Tout au long de son voyage l’oncle Tournehem l’avait tenu au courant des affaires en cours pratiquement au jour le jour. Il pouvait presque dire qu’il n’y avait pas une gouttière des Bâtiments du Roi qui avait fui sans qu’il en eût été informé. Il n’y aurait aucune perte de temps à se mettre au courant des affaires et ceux qui l’attendaient à son inexpérience en seraient pour leurs frais. Il était capable de prendre les choses en main du jour au lendemain, là où Tournehem les avait laissées. C’était un exploit qu’aucun directeur des Bâtiments n’avait pu réaliser jusque-là. Sa nomination n’était pas une surprise et depuis deux ans il s’y préparait avec le plus grand sérieux. Il n’en restait pas moins vrai qu’il n’habitait pas encore le personnage qu’il était devenu, il allait devoir s’y couler. Alors il prit sa plume et il se mit à rédiger des bons, des permissions, despensions, qui n’attendaient que son retour pour être accordés, et chaque pièce commençait par la même formule : « Nous, Abel-François Poisson de Vandières… »

    À Versailles, on l’attendait. Quel Directeur serait le petit frère ? On l’observait. Il avait changé. Plus mûr, plus calme. En deux ans il s’était un peu enrobé mais sa belle stature le supportait. Bien sûr, on commençait par le dire « épais ». Ne serait-il pas un peu niais avec son masque de tranquillité ? Non !

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