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Le rêve de Marigny

Le rêve de Marigny

Titel: Le rêve de Marigny Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Monique Demagny
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soir même de son arrivée Abel reçut un message. La gondole de la comtesse Gabrielli viendrait le chercher à l’heure du souper. L’embarcation fut là en effet quand le jour tombait tout juste. C’était une superbe gondole qui pouvait rivaliser avec celle de l’ambassadeur, elle était pourvue d’un habitacle fermé d’un simple rideau opaque. Abel y sauta joyeusement et le rideaus’entrouvrit aussitôt, la comtesse Gabrielli l’invita d’un geste à la rejoindre sur les coussins moelleux qu’elle occupait. Abel maîtrisait parfaitement l’italien, il s’étonna à peine de l’entendre ordonner à son gondolier de naviguer sur le grand canal et la lagune jusqu’à ce qu’elle lui donne l’ordre de revenir au palais. Quand les intentions de la belle Vénitienne se firent plus précises, Abel chuchota une ultime réserve.
    — Le gondolier ?
    — Si un gondolier trahissait un jour la maîtresse à laquelle il est attaché tous les autres lui feraient aussitôt payer son forfait. Il y a une morale dans cette cité !
    Abel n’en doutait pas, et cette morale le séduisait.

    Les jours passaient. Abel était plus souvent au palais Gabrielli qu’à la résidence de l’ambassadeur du roi de France. Il n’abandonnait pas pour autant sa quête des manifestations de l’art. En compagnie de Cochin il découvrit avec étonnement l’effervescence des vedute , ces paysages peints pour leur propre beauté. En France, même dans les peintures très avant-gardistes, le paysage n’était encore qu’un faire-valoir à des scènes bibliques ou guerrières du Grand Art qui entendait bien tordre le cou aux joliesses du rococo. Il se souvint de Cochin notant par le menu les moindres détails d’un paysage de la campagne romaine. Il avait alors attribué son zèle au désir de réemploi dans une scène animée et riche de quantité de personnages comme il avait l’art de les dessiner avec exactitude et minutie. Il lui demanda son sentiment sur les paysages admirables qui le laissaient perplexe tant cette entreprise était nouvelle. Cochin,toujours si mesuré dans ses propos, répondit cette fois avec une certaine véhémence.
    — Il faudrait peut-être qu’un jour, on enseigne aux pensionnaires de l’Académie de Rome qu’un paysage a sa propre beauté qui n’exige pas l’intrusion humaine. Nos jeunes peintres se font violence à peindre des scènes grandioses ou des portraits. Tous ne sont pas doués pour cela. Certains sans doute excelleraient à produire des paysages. Dieu sait que l’Italie nous en offre à foison ! Mais les directeurs de l’École sont souvent des hommes âgés dont la notoriété s’est bâtie sur des conceptions artistiques déjà dépassées. Ils enseignent ce qu’ils savent faire. Il faudrait dépoussiérer tout cela.
    Décidément Cochin n’avait pas fini d’étonner Vandières. Il pouvait dans son domaine être aussi novateur que Soufflot.

    Abel, pourtant toujours curieux des manifestations de l’art, revint vite à ses amours. La comtesse Gabrielli était son aînée de quelques années et peut-être sa maturité l’avait-elle séduit, comme la belle trentaine de la Romaine avait été un facteur déclenchant. Abel se retournait rarement sur une toute jeune fille, ses plus jeunes conquêtes évoluaient dans le monde hétéroclite du théâtre où l’on pouvait tout rencontrer. Il s’y était peu attaché et quand il s’attardait auprès des comédiennes c’était plutôt près de celles qui avaient déjà vécu. La prime jeunesse l’avait toujours un peu déconcerté. Il ne s’interrogeait pas pour autant sur ses amours vénitiennes, il prenait les bonheurs comme ils venaient et c’était un enchantement. L’emprise de la bellecomtesse se faisait pourtant chaque jour plus grande et Abel se refusait à envisager son départ.

    En juillet 1751, Abel vivait exclusivement dans le présent. Aucune lettre n’était parvenue jusqu’à Venise depuis la dernière missive de Jeanne, un peu trop pressante au goût d’Abel. Il faisait le dos rond et jouait les hommes occupés. Il n’écrivait pas. À quoi bon ? La poste parvenait si difficilement en ces lieux que l’inverse était sans doute vrai. C’était une excellente excuse qu’il se donnait à lui-même. La vérité était toute simple, il n’avait pas envie de partir. Le royaume de France était loin, il ne s’en plaignait pas et vue de la lagune la Direction des Bâtiments du Roi apparaissait comme

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