Le rêve de Marigny
Définitivement, non ! Vandières avait plus que jamais l’esprit vif, réagissait dans l’instant, mais toujours avec courtoisie. On l’attendait infatué de sa charge, c’était encore une erreur ! Il y mettait seulement beaucoup de sérieux et on ne pouvait le lui reprocher, mais puisqu’il avait tant de bonne volonté c’était le moment de demander. Allait-il crouler sous le poids des requêtes ? On verrait bien. L’apprentissage de Vandières continuait mais cette fois au ras du quotidien.
Le domaine des Bâtiments était vaste et varié. Il comprenait d’abord la construction et l’entretien des résidences royales. Elles étaient nombreuses, et quand bien même il n’y aurait eu que Versailles la charge aurait déjà été titanesque. La réalisation et l’entretien des ouvrages d’intérêt général étaient une charge tout aussi lourde et à ce titre la place dédiée à Louis XV dont on parlait déjà avant qu’il ne parte pour l’Italie serait à la fois une épreuve et un extraordinaire contentement pour Vandières. Le mécénat royal n’était pas plus léger. Il fallait prendre en charge la Savonnerie et laManufacture des Gobelins, celle de Sèvres aussi. Enfin la voirie de la ville de Versailles n’était pas un menu souci.
L’administration des Bâtiments employait donc entre deux cent cinquante et trois cents personnes, et le Directeur était assisté – le terme convenait-il ? – par le Premier Architecte du Roi et le Premier Peintre du Roi. C’était pour les tâches les plus exaltantes. Pour le reste, qui était considérable, le Directeur pouvait s’appuyer sur quelques intendants, inspecteurs, contrôleurs, et nombre d’officiers des Bâtiments. Pouvait-on s’étonner que dans les derniers mois de sa vie Tournehem se soit senti fatigué par le poids de sa charge ?
C’était à Versailles que l’on guettait d’abord Vandières. La résidence royale comptait alors deux cent vingt-six appartements en dehors de ceux occupés par la famille royale. C’était beaucoup et c’était lourd. L’affaire était d’autant plus difficile à gérer que la configuration des appartements évoluait constamment et que les titulaires des logements migraient à l’intérieur du château à chaque fois que l’occasion s’en présentait. Un nouveau Directeur ? Quelle aubaine ! Les réclamations s’accumulèrent à un rythme démentiel sur la table de travail du nouveau Directeur.
« Monsieur le comte de Saint-Herem demande la réparation d’une soupente au-dessus d’un petit réchauffoir dans son appartement… »
« Madame la comtesse de Fitz-James prie monsieur de Vandières de vouloir bien avoir la bonté de faire examiner un abat-jour qui est dans un petit réchauffoirqui lui sert de cuisine pour faire ouvrir afin de donner un jour davantage… »
« Madame de Butler demande… qu’on remette du plâtre dans les endroits absolument à jour, qu’on raccommode le plancher d’un entresol dont les planches sont pourries, qu’on lève et répare les fourneaux de la cuisine… »
Chaque matin Vandières recevait son lot de doléances et de demandes de travaux dûment argumentées. Elles étaient à la fois répétitives et variées, et couvraient toute l’échelle des travaux les plus simples, facilement acceptables, aux plus chers qui s’apparentaient presque à la réfection complète d’un appartement. Certains problèmes étaient récurrents, ceux des réchauffoirs, car s’il était avantageux d’acquérir à petit prix les reliefs de la table royale le repas était depuis longtemps froid quand il arrivait à l’appartement. Les odeurs étaient un autre sujet de plaintes, celles des cuisines des appartements voisins, celles des lieux d’aisances parfois précisément situés trop près des cuisines. Très souvent les problèmes de coulis d’air froid amenaient une demande de travaux, le cas de planchers pourris n’était pas isolé. Il fallait y répondre, au mieux, au moins cher, et renvoyer fermement les prétentions inacceptables. On voulait des glaces partout ! Et, comble d’un luxe irrecevable, certains auraient ambitionné qu’on leur aménageât une pièce pour le bain sous prétexte peut-être que le roi en avait une ! On croyait rêver ! Des miroirs, soit, en quantité raisonnable, mais des baignoires !
Le premier moment d’humeur passé, le nouveau Directeur des Bâtiments étudia les demandes qui lui avaient été
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