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Le rêve de Marigny

Le rêve de Marigny

Titel: Le rêve de Marigny Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Monique Demagny
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un hochet qui ne valait peut-être pas le voyage. Cochin n’était pas loin de deviner ce subit engourdissement d’un jeune homme qu’il avait connu plus fougueux quant à ses futures fonctions. À qui en parlerait-il ? Péricard était trop jeune et peu intégré au groupe, Le Blanc était indifférent aux problèmes qui n’étaient pas les siens. Il était aimable et de bonne compagnie mais la seule pensée qui pût le toucher tenait à l’Académie. Y en aurait-il une à Venise ? L’absence de Soufflot pesait son poids. L’idée vint alors à Cochin d’évoquer l’architecte.
    — Si Soufflot était encore avec nous, dit-il à Vandières, il nous aurait déjà menés jusqu’à Padoue. Vous connaissez son enthousiasme.
    Il observa Abel, visiblement il était troublé. Il avait donc tapé juste. Soufflot et son regard acéré, ses coups de cœur, toujours entre passion et raison, si compliqué,si chaleureux, si proche, Soufflot lui manquait. Plus difficile à admettre, Vandières, c’était sûr, n’aurait pas voulu décevoir Soufflot.
    — Nous aurons du bonheur à le retrouver, insista Cochin, j’imagine mal qu’on puisse changer le cours des choses en architecture dans notre vieux royaume sans son inlassable énergie.
    Vandières ne put qu’approuver, il en était intimement persuadé. Ah, Cochin ! Il ne voulait pas le laisser s’enliser dans les délices vénitiennes. Il arrivait trop tard pourtant, le chapitre était clos. Un moment il avait essayé de se bercer du rêve fou de prolonger la trêve tout en sachant que c’était une illusion. La veille, Léonora Gabrielli lui avait signifié la fin de leur liaison. C’était avec infiniment de tact.
    — Dans quelques jours je pars pour Rome où mon époux m’attend.
    Abel avait imaginé toutes sortes de dénouement à une aventure tellement romanesque. Il croyait bien avoir tout envisagé, tout sauf cet adieu déguisé. L’époux aurait pu mourir. Abel alors aurait-il pu épouser Léonora ? Y rêver était déjà en soi une folie ! À Venise qui se défaisait sur l’échiquier politique de l’Europe en ébullition et qui s’en moquait bien tant elle exultait dans le domaine artistique, les traditions tenaient bon et les castes étaient ce qu’elles étaient. Dans la république vieillissante, chancelante, on savait encore qui était né et qui ne l’était pas. Le mariage était inconcevable, et encore davantage du fait que le mari était bien vivant. C’était une réalité qu’il fallait prendre en compte. Quelle autre issue ? À Venise comme à Paris, commeà Versailles, quelques femmes bien nées pouvaient avoir un amant, et s’il n’était que de cœur c’était encore mieux, mais l’amant devait être agréé par la famille et la société. Il était, pour un temps, cet amant un rien contestable mais toléré parce qu’il était proche d’un roi puissant. Que les Bâtiments s’éloignent et il ne serait plus rien. Malgré sa culture, son intelligence, Abel n’était finalement que ce que Jeanne l’avait fait.

    Au moment de l’adieu, Léonora avait poussé la délicatesse à l’enjoindre de toujours garder dans sa mémoire les moments heureux qu’ils avaient vécus.
    — Quand vous serez à Versailles dans la gloire de votre charge, ne m’oubliez pas.
    Il n’y avait plus la moindre place pour le rêve. La comtesse Gabrielli avait-elle seulement regardé Abel ? Elle n’avait peut-être vu que le familier d’un roi, le haut personnage d’une cour étrangère. La parenthèse était refermée. Le lendemain Vandières donna le signal du départ, Cochin ce soir-là dormit mieux.

    Quelques jours plus tard une lettre de Jeanne écrite le 21 juin atteignait enfin son destinataire à Padoue. Elle était alarmante.
    « Monsieur de Tournehem est toujours enrhumé. Sa santé m’inquiète et encore plus son humeur qui est devenue d’un noir affreux. Faites-lui toujours bien des amitiés quand vous lui écrivez. Il y est sensible. Cela ne vous coûtera rien car vous l’aimez sûrement autant qu’il vous aime. »
    Alors on commença à brûler les étapes. Une semaine à Vicence, cinq jours à Vérone, deux jours à Mantoue, une seule journée à Bergame, mais toute une semaine à Milan. Enfin deux semaines à Gênes et on était déjà à la mi-août.

    Partout il avait fallu se plier aux exigences du voyage d’un représentant du roi de France, mais aussi souvent que possible, volant le temps à la

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