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Le rêve de Marigny

Le rêve de Marigny

Titel: Le rêve de Marigny Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Monique Demagny
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chaque fois le ramener à la raison.
    — Je suppose qu’il ne demande rien pour lui-même ?
    — Bien entendu, il n’a jamais rien demandé pour lui, mais…
    — Mais ?
    — À l’écouter il me faudrait pourvoir d’emplois flatteurs et lucratifs tous ceux qui dans le royaume s’appellent Poisson !
    — Quel cousin vient-il encore de nous trouver ?
    — Oh ! il ne l’a pas trouvé mais on sait bien le trouver, lui ! Cette fois il s’agit encore de ce Poisson de Malvoisin que j’ai déjà fort avancé dans les carabiniers.Il voudrait que je le fasse nommer à Vincennes ! Comment peut-il y songer quand ce garçon a tout juste vingt-cinq ans et n’a servi que six ans ? Je ne cesse de dire à notre père qu’il ne faut demander que des choses raisonnables ! Je le lui ai écrit.
    — Oubliez cela. J’étais venu vous parler de choses plus importantes.
    Jeanne sourit.
    — Je croyais que votre visite n’était que de courtoisie, frérot.
    — Elle est d’abord d’affection.
    — Ah ! C’est bien. Mais ces choses sérieuses ?
    — Un projet qui vous tient à cœur. La place…
    Point n’était besoin d’être plus précis. Il n’y avait qu’une place pour Jeanne, une seule dont elle se souciait de manière constante, celle qui à Paris devait accueillir la statue du roi.

    Le projet en avait été fait dès l’année 1748, quand la ville de Paris, incarnée par ses échevins et le prévôt des marchands, avait décidé d’ériger une statue équestre du roi pour fêter son rétablissement après la maladie qui l’avait terrassé à Metz en 1743. Le projet, longuement discuté et mûri, avait finalement pris corps et les représentants de la ville avaient alors demandé au roi la faveur « d’ériger un monument à sa gloire en telle forme et en tel emplacement qu’elle voudrait l’ordonner ».

    Le problème commençait là. Il n’y avait guère de lieu dans la ville qui pût honorablement abriter une statueà la gloire du roi. C’était tant mieux car le vœu de la ville de Paris ouvrait la voie à un projet d’envergure et donnait l’opportunité de marquer durablement la cité de l’empreinte du règne. Tournehem en charge des Bâtiments en 1748 avait compris et anticipé l’ampleur qu’on pouvait donner à cette réalisation. Quant à Abel, c’était son premier grand chantier et quel chantier ! L’exécution de la statue qui pouvait apparaître comme l’élément essentiel du projet n’était en fait que le prétexte à une création largement plus grandiose. Il fallait créer le cadre qui mettrait la statue en valeur et ce cadre ne pouvait être que prestigieux. La place que l’on allait créer de toutes pièces serait la marque du règne, et inévitablement elle traduirait tout ce qui était nouveau dans ce siècle en marche qui n’en finissait pas de secouer les temps anciens. Le « joli temps de la Régence » avait, à son heure, tordu le cou à la pompe du grand siècle, il était temps maintenant de se dégager des manières de la rocaille. On allait faire du nouveau, et le nouveau ne se bâtit pas dans l’ancien.
    L’idée n’était pas si facilement acceptable. Bien sûr il fallait faire du nouveau, mais une place est une place. Elle est rectangulaire ou carrée. Ronde peut-être ? Elle est bordée de tous côtés par des bâtiments. Est-elle fermée ? Non ! Les rues convergent vers elle. Une place ne peut qu’être le centre de convergences des rues environnantes. Il suffisait de regarder la place Royale, ou la place Louis-le-Grand. Elles étaient là et faisaient l’admiration des Parisiens et des visiteurs, mais elles ne pouvaient convenir pour le projet de la ville de Paris. Elles étaient déjà occupées, l’une par la statue équestre deLouis XIII, l’autre par celle de Louis XIV. Allait-on détrôner l’un ou l’autre ? Il faudrait donc créer une nouvelle place dans Paris. Il fallait pourtant se rendre à l’évidence : Paris étouffait dans ses vieilles limites. Il n’y avait pas le moindre espace qui n’ait déjà été investi. Tout était construit ? Il n’y avait là nul problème, on démolirait pour créer de l’espace et on dégagerait une place. L’hôtel de Conti était à vendre fort à propos, on l’abattrait, et pour que la place fût assez grande comme il convenait pour y loger la statue du roi on ferait disparaître alentour toutes les constructions qui s’avéraient gênantes pour la

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