Le rêve de Marigny
maisCochin était parfaitement à l’aise dans ce tourbillon perpétuel si bien que le plus naturellement du monde Marigny disait à propos des problèmes les plus divers « il faudra voir avec Cochin ».
La catastrophe qui se produisit le 6 avril 1763 ne pouvait cependant être confiée aux soins du seul Cochin, fût-il le bras droit, l’alter ego, le substitut de Marigny. Ce fut pourtant le petit Cochin qui lui porta la nouvelle dès le matin. Comme toujours il surgit d’une allure pressée et se jeta dans son discours comme si ce qu’il détenait ne pouvait attendre et menaçait l’équilibre du monde, ou au moins de l’univers des arts à Paris. Son arrivée tonitruante n’était pas exceptionnelle et n’avait guère de raison d’ébranler le Directeur des Bâtiments. Marigny en était persuadé : tout était grave pour Cochin dans le domaine qui lui avait été confié, et il avait bien raison. Il traitait le plus souvent du quotidien des artistes, donc de leur vie. Ce matin-là pourtant l’évènement n’avait rien d’ordinaire.
— Bonjour, monsieur, je vous le dis, vos architectes vont avoir du travail !
Marigny leva les yeux du courrier qu’il était en train de rédiger.
— Mais ils en ont, Cochin !
— Ils vont en avoir encore plus, et dans l’urgence.
— Le Louvre se serait-il écroulé ?
— Non ! Mais il s’en est fallu de peu que les Tuileries soient réduites à l’état de cendres. La salle de l’Opéra a brûlé.
— Quand cela ? Comment ? Et personne ne m’en a averti !
— L’Opéra a brûlé dans les deux heures qui viennent de s’écouler, et je suis là tout exprès pour vous en informer. Il se trouve que je n’étais pas loin, j’ai vu la fumée. Il m’a fallu le temps de parvenir sur les lieux de l’incendie, puis de me renseigner. Serais-je venu tout simplement vous dire avec le plus grand calme « l’Opéra brûle » ?
— Je ne vous mets pas en cause, Cochin, et je vous remercie, encore une fois vous avez été « mes yeux ».
— Et « vos yeux » ont vu un terrible spectacle.
La nouvelle étant annoncée et Marigny ayant repris son calme, Cochin prit le temps de souffler.
— Le feu semble avoir pris vers huit heures ce matin…
— Comment ?
— Peut-être des ouvriers qui travaillaient dans la salle.
— Sur les ordres de la ville ?
— En effet.
— La ville paiera les travaux.
Cochin ne se choqua pas de la remarque. Il savait comme le budget des Bâtiments était chichement compté au Directeur. S’il fallait payer la reconstruction de l’Opéra il faudrait sacrifier un autre chantier. Il soupira et ne détrompa pas Marigny. La ville paierait… peut-être. Il avait entendu d’autres bruits, on murmurait que le feu avait pris non pas dans la salle mais dans un petit cabinet attenant aux appartements du gouverneur du Palais-Royal. Il y avait quelques risques quedans le domaine des responsabilités on se renvoyât quelque temps la balle. Marigny poursuivit sa quête d’information.
— Les secours ?
— Ils sont arrivés quand le feu était déjà violent. Les ouvriers avaient cru de bon cœur que c’était un tout petit feu qu’ils allaient maîtriser tout seuls.
— Quelle sottise ! Il n’y a jamais de petit feu !
— Celui-là a vite gagné en intensité et en étendue. Je vous assure que le spectacle en était effrayant ! Avant que les premiers secours fussent intervenus, toute la salle et l’aile de la première cour étaient en feu. Quand je suis moi-même arrivé sur les lieux, le toit s’était écroulé sous les flammes et la fumée sortait en panache de la toiture éventrée. Les gens sont accourus de partout alertés par la fumée et se sont aussitôt attaqués à l’incendie. Il y avait bien cinq cents personnes à faire la chaîne pour tenter d’éteindre le brasier. Les hommes d’un côté se passaient les seaux remplis d’eau depuis la Seine jusqu’aux Tuileries et de l’autre côté les femmes renvoyaient elles aussi de main en main les seaux vides, si bien qu’il n’y avait jamais d’arrêt dans l’aspersion des lieux. L’embrasement a été maîtrisé en un peu plus de deux heures de ce travail acharné. On m’a dit que le duc de Chartres avait lui-même participé à la chaîne.
— À son âge ?
— Un vrai soldat !
— Le bilan ?
— La salle de l’Opéra n’existe plus, l’aile qui lui était adossée et le grand escalier sont
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