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Le rêve de Marigny

Le rêve de Marigny

Titel: Le rêve de Marigny Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Monique Demagny
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balbutiements du projet pour la place Louis-XV. Sitôt que le cadre fut posé, l’imagination de l’un et de l’autre s’en donna à cœur joie. Personne n’ayant commandé l’édifice ils n’avaient que les contraintes qu’ils se fixaient. Leur liberté était absolue et leur contentement ne devait rien à personne. Marigny développait ses idées, elles n’étaient pas forcément claires. Il voulait que la forme de la salle soit la moitié d’un ovale parfait, Soufflot penchait pour un demi-cercle. Marigny voulait des loges disposées en amphithéâtre et souhaitait que l’entrée se fasse par une colonnade tournante. Soufflot commentait, renâclait un peu, se rangeait à l’injonction du Directeur des Bâtiments ou s’appliquait adroitement à le faire céder, puis il calculait, il dessinait. Un théâtre qui n’existerait jamais naissait de leur imagination confondue, un superbe théâtre comparable à celui que Soufflot avait déjà conçu pour Lyon, un théâtre aussi prodigieusement étonnant que celui de Turin, un théâtre de rêve. De rêve seulement. On en resterait là, mais qu’importait, Marigny et Soufflot avaient largement et merveilleusement occupé une année de marasme pour les Bâtiments.

La guerre avait duré sept ans. Une éternité ! Pendant sept ans l’argent était allé aux armées et les Bâtiments n’avaient pas cessé d’en pâtir. Comment pouvait-on construire sans argent, et réparer, et entretenir ? Verrait-on jamais l’aboutissement des chantiers en cours ? Il était inutile de parler de Versailles, des façades tout en splendeur et encore si on les regardait du bon côté un jour où il ne pleuvait pas, et des galetas misérables où s’entassaient des courtisans parfois aussi désargentés que leur maître. Ces parasites encombrants ne cessaient de réclamer moins de courants d’air, un peu plus de chaleur. Il fallait qu’ils se contentent de leur prestigieuse misère ! Des cheminées qui remplissaient leur office, qui tiraient et ne fumaient pas, des cheminées qui chauffaient enfin, devaient être entretenues et réparées en temps. Des croisées qui ne laissaient pas passer l’eau de toutes les averses supposaient qu’on les ait pourvues de châssis neufs et de doubles-châssis. L’argent de tous ces travaux s’était envolé dans des combats douteux, plus souvent perdus que gagnés, et s’était finalement englouti dans le gouffre sans fond d’une défaite amère.
    Depuis des années Marigny enrageait au fond de lui-même en gardant imperturbablement la mine sereine qu’il devait à sa fonction et à son sincère respect pour le roi. Il aurait dû se réjouir enfin puisqu’en cedébut d’année 1763 la nouvelle qu’on n’espérait plus avait déferlé dans toutes les rues de la capitale, à Versailles, et dans tout le royaume. Le 10 février très exactement le roi avait signé le traité de Paris, la guerre était terminée. Les grincheux retenaient seulement qu’elle avait été perdue. Marigny, par égard pour le roi, ne tiendrait jamais ce discours mais il se sentait de plus en plus chagrin. Au terme de la guerre de Succession d’Autriche quelque quinze ans plus tôt, les Français avaient eu le sentiment éminemment frustrant d’avoir combattu pour le roi de Prusse, mais sans en avoir tiré aucun profit ils étaient vainqueurs. La victoire leur avait réchauffé le cœur, cette fois ils étaient vaincus et pour rendre la potion un peu plus amère ils avaient perdu un empire. Le Canada, l’Acadie, honnie par Voltaire, la Louisiane, étaient maintenant anglaises ou espagnoles. La France cédait de riches et belles colonies, abandonnait des colons français à un sort incertain, se déprenait d’un rêve peut-être trop grand. Les fortes têtes ricanaient. Bah ! L’Amérique, c’était loin ! Qui se souciait des Canadas  ? Personne ! Mais nul ne pouvait cependant faire passer le traité de Paris pour un triomphe. On avait tout perdu, et l’honneur avec, et les Français aimaient particulièrement à être glorieux.
    Marigny secoua sa morosité, il ne voulait se souvenir que d’une chose, le traité mettait fin à l’hémorragie des deniers qui auraient pu servir aux Bâtiments. Il aurait voulu se sentir heureux mais une vague nausée barbouillait sa joie. Le roi vainqueur ? Il en avait rêvé, Jeanne aussi, et tout le royaume avec eux. Jeanne ? Il allait de ce pas plus pesant aujourd’hui en parler avecelle. Il fallait

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