Le rêve de Marigny
détruits. Le toit d’une partie de la petite galerie sur la rue Saint-Honoré, celuidu grand corps de logis, et celui aussi de la dépendance du Palais-Royal ont aussi été réduits en cendres.
— Ce n’est pas rien ! Des victimes ?
— Il y en a eu deux.
— Ce chiffre est presque un miracle, on pouvait s’attendre à une hécatombe. Enfin, heureusement c’est la semaine sainte.
— La semaine sainte ?
Cochin afficha un air étonné. Au contraire de Soufflot dont on connaissait la grande piété, Marigny faisait dans ce domaine ce qu’il pensait devoir faire mais sans excès ni passion apparente.
— Cochin ! Vous n’ignorez pas que le prochain dimanche sera celui de Pâques et que nous sommes aujourd’hui même le jeudi saint ?
— Je le sais.
Ce que Cochin n’osait pas dire c’est qu’il ne voyait pas pourquoi Marigny venait de passer brutalement de l’incendie à des préoccupations d’ordre religieux.
— Il n’y a pas de représentations théâtrales pendant la semaine sainte. Imaginez-vous le nombre des gens qui auraient pu se trouver à l’Opéra sans cette circonstance particulière.
— Le matin ?
— Vous savez bien ce que sont les acteurs, ils n’ont pas d’heure. Ils font n’importe quoi, n’importe quand ! Répéter, essayer un costume, fureter dans le théâtre on ne sait pourquoi…
Non ! Cochin ne connaissait pas vraiment les gens de théâtre, il en avait assez avec ses artistes. Mais il eutenvie de sourire malgré les circonstances, Marigny, lui, connaissait bien les acteurs et surtout les actrices.
— Quoi qu’il en soit, monsieur, les architectes devront se mettre à l’ouvrage, et rapidement. Les flammes étaient à peine domptées que ceux qui avaient si bien œuvré à enrayer le sinistre parlaient déjà de reconstruction. Il semble bien qu’on ne puisse vivre à Paris sans Opéra.
Marigny en était parfaitement convaincu.
La journée n’était pas achevée qu’il en parlait déjà avec Soufflot.
— L’Opéra a donc brûlé ? s’enquit Soufflot sans se départir de son calme
— Ce matin même, et dans les premières heures c’était une catastrophe.
— Dans les premières heures seulement ?
— Les gens de Paris sont philosophes. Ils prennent ce soir la chose plus légèrement et vont jusqu’à regretter que le feu ne soit pas étendu jusqu’aux actrices.
— Vous ne sauriez partager ce sentiment.
— En effet. Encore que les acteurs et les actrices vont nous faire grand tapage pour ne pas leur reconstruire une salle en quelques jours. Quand ces gens-là se mettent en branle, ils peuvent vite se rendre insupportables.
— Je n’en doute pas.
— L’ironie ne s’arrête pas là. Il se dit aussi qu’on avait toujours prédit que l’Opéra mourrait de froid, et qu’il ne faut pas croire aux prophéties car il est finalement mort de chaud ! Mais revenons aux chosessérieuses. Certains maintenant bénissent cette destruction et il se dit à voix haute qu’il est bien temps qu’on construise des locaux plus vastes et surtout plus appropriés. Voilà un chantier pour vous, Soufflot.
L’architecte resta un moment circonspect.
— Voilà un chantier que Gabriel ne laissera pas lui échapper.
Marigny eut un mouvement d’impatience.
— C’est l’évidence. Nous l’associerons au projet.
La moue de Soufflot dit assez le peu d’agrément qu’il pensait retirer d’une telle collaboration. Marigny avait déjà tranché.
— Il faut parfois s’arranger des autres, faire des concessions. Le roi aime bien Gabriel, il est habitué à lui, c’est une faiblesse dont notre homme sait admirablement jouer. Gabriel ne peut rester en marge de la reconstruction de la salle de l’Opéra de Paris. Il n’en reste pas moins, Soufflot, que vous y avez votre place. Vous avez beaucoup réfléchi sur les théâtres, sur leurs spécificités. La réalisation du théâtre de Lyon est là pour témoigner de votre talent. Réfléchissez tout de suite au projet, Soufflot. Je contacte l’Architecte du Roi.
C’était une entreprise osée que d’atteler au même projet le Premier Architecte du Roi et l’architecte lyonnais. Marigny aimait les défis et heureusement Soufflot comme Gabriel ne rechignaient pas à les relever. Pour corser l’affaire Marigny se piquait lui-même de « théâtromanie » comme il le disait dans l’autodérision qu’il affectait volontiers. Il fallait donc que Gabriel pût trouver
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