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Le rêve de Marigny

Le rêve de Marigny

Titel: Le rêve de Marigny Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Monique Demagny
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une femme ordinaire. Il en faisait la constatation sans passion. Il était engagé dans ce mariage, et tout s’était fait trop vite. Quelle mouche l’avait donc piqué ? Pourquoi le mariage ? Et pourquoi celui-là ? Un court moment il avait espéré trouver son content dans cette union. Était-ce le désir fugace de souffler un moment dans l’agitation perpétuelle de sa vie ? Espérait-il jouir d’un bonheur simple ? N’était-il pas surtout resté bourgeois au fond de lui-même malgré son élévation ? La bourgeoisie avait ses valeurs, Marigny ne les avait jamais reniées. Le mariage, raisonnablement compris, en faisait partie. Julie venait d’un autre monde, pétri d’intrigues, oscillant au gré des intérêts des uns ou des autres, frangede société honnie par les bourgeois aussi bien que pudiquement ignorée en ce pays-ci, où l’on s’en accommodait pourtant. Et il faudrait en faire une marquise, si possible pétrie de vertus oubliées à la cour ! Englué dans un lien qui ne lui apportait que soucis, Abel pataugeait. Éduquer Julie ? La tâche était trop rude ! Il y réfléchissait, il supputait, il s’empêtrait dans ses conjectures. Il soupirait, Jeanne aurait su faire l’éducation de Julie.
    Les époux lassés une fois de plus de l’intimité de leur campagne regagnèrent Paris au plus vite. Marigny avait beaucoup à faire, madame aussi.

La marquise de Marigny ne manquait pas d’occupations. À Paris elle n’avait pas une minute à elle. Buffault, son marchand de nouveautés, lui proposait taffetas, satins, popelines en quantités effarantes, elle aurait été sotte de n’en point vouloir. Il fallait ensuite les faire façonner. Quel temps à passer chez la modiste ! Son cordonnier s’ingéniait à la chausser comme une reine, et son parfumeur, Bocquillon, la fournissait en pommades de toutes sortes, en mouches, en poudres. Tout cela était indispensable pour paraître aux Comédiens-Italiens et à l’Opéra, où Marigny avait une loge. Il y avait aussi les bals masqués et les mariages. Mariage du duc de Chartres, mariage du comte de Provence, les Marigny étaient de toutes les fêtes. Julie ne se sentait plus de joie. Marigny suivait. Allons, il était encore jeune, il ne renâclait pas aux bals ! Il aurait mieux aimé chasser à Ménars, mais… N’aurait-il pas apprécié aussi une soirée à partager avec Soufflot et Cochin ? Il n’en avait plus le temps ! Et puis…
    — Soufflot ? Cochin ? soupirait la marquise. Ne les voyez-vous pas assez à la Surintendance ?
    Le raisonnement de Marigny lui échappait. Il était vraiment par trop bourgeois ! N’avait-il pas jugé bon de discuter la facture de sa marchande de modes ? Quelle humiliation !

    Si Julie supportait de plus en plus mal un époux qu’elle jugeait par trop inférieur à sa naissance non avérée, Abel était de plus en plus perplexe devant la jeune femme qu’il avait épousée et qu’il n’arrivait pas à comprendre. Il avait jadis parcouru Le bon mari par amitié pour l’auteur, mais il trouvait bien ardu dans son cas particulier de mettre en œuvre la sagesse de Marmontel. On voyait bien que l’auteur s’appuyait sur la théorie et ne parlait pas d’expérience. Dans la pratique les résultats n’étaient pas à la hauteur du succès que le public faisait au roman. Julie, il le lui accordait, ne protestait jamais devant ses remontrances, mais elle ne tenait aucun compte de ses admonestations. Dans les premiers temps sa principale échappatoire avait consisté à se réfugier dans les jupons de sa mère qui ne savait l’entraîner que dans des chemins tortueux, tout aussi bien que sa chère amie, madame de Seran. La disparition de l’une, l’éloignement seulement temporaire de l’autre, n’avaient rien changé. Julie était toujours aussi insaisissable. Les remarques glissaient sur son indifférence, elle n’en faisait jamais cas. Ah ! Marigny préférait l’hostilité, franche ou feutrée, de ces têtes de bois d’architectes, à l’indifférence inaltérable et glacée de son épouse. Il tournait et retournait cet embarras sans savoir comment l’aborder. On ne le disait pas assez, le mariage était ingrat, pourtant quand il était conclu la seule voie était de s’y appliquer. Abel, tout marquis qu’il était, n’avait pas ambitionné plus qu’un mariage bourgeois, avec une femme à la maison pour prendre soin de lui et recevoir ses amis, un mariage à laMarmontel. On

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