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Le rire de la baleine

Le rire de la baleine

Titel: Le rire de la baleine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Taoufik Ben Brik
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lui ferai pas ce plaisir ; dites que « je ne suis pas de taille », je m’en fous. Allez au diable, mais ne me perdez pas en cours de route !
    Je suis à bout de souffle. J’ai trimé comme un malade tout au long de ce mois de février gros comme une pleine lune qui aurait envoûté les Tunisiens. J’ai couru derrière les routiers qui, on ne sait quelle mouche les a piqués, se sont mis en grève pendant trois jours. Cet événement inédit enflamme les Tunisois. La couleur jaune a disparu de nos rues. La grogne s’est réapproprié les artères de la capitale dont elle avait été chassée par un gouvernement policier. Ce qui ne manque pas de piquant dans cette histoire, c’est que cette protestation vient d’une corporation traditionnellement alliée au gouvernement auquel elle fournit le gros de la caste des Innommables. Au même moment, émeutes et manifestations se succèdent pendant une semaine dans le pays jusqu’aux portes du désert.
    Parties de Tunis depuis les quartiers populaires de Hay Etadamoun, El Mnihla, le Bardo côté pauvre, elles se sont propagées à l’ensemble du pays comme la rumeur qui avait mis le feu aux poudres, prétendant que le gouvernement allait augmenter le prix du pain. Du jamais vu : c’est la première fois que des émeutes précèdent l’augmentation réelle du prix du pain !
    Face au black-out de l’information, je me suis retrouvé, je ne sais par quel sortilège, transformé en agence de presse à moi tout seul. Les médias du monde entier me harcèlent au téléphone : presse écrite, radio, télévision. J’ai l’impression d’être le premier homme à marcher sur la Lune. « Vous confirmez qu’il y a des émeutes ? » me demande-t-on dans toutes les langues. « Non, ai-je le plaisir de répondre à ces grands manitous de la presse internationale – 
Libération
,
Le Figaro
,
Le Monde
, l’AFP, Reuter, Ansa, RFI, France Inter –, je ne le confirme pas, je l’ai écrit et publié. »
    C’est ma revanche sur tous ceux qui, depuis des années, me reprochent mon manque de professionnalisme, mon écriture trop littéraire, mon approche romancée de l’actualité, ma langue châtiée. La revanche du sous-dév, face à ces stars qui gagnent leur pain en pillant les « journalistes locaux », ceux de la seconde division. Celles et ceux qui ne nous considèrent que comme des amateurs, du haut de leurs moyens dits « professionnels », leurs bureaux sur les grandes avenues protégées par « la liberté d’informer », leurs portables, leurs micro-ordinateurs, leur Internet, leur langue qui n’est pas la mienne mais qui est ma prise de guerre – pour redire Kateb Yacine, le père de Nejma, ma fille –, leurs méga-caméras et surtout leurs portefeuilles pleins de fric pour se payer les hôtels cinq étoiles sur le continent des pauvres.
    À deux heures de vol des grandes métropoles européennes, Rome, Paris, Munich, Genève, Tunis est ma planète qui n’a jamais été foulée. C’est le nouveau monde avant sa découverte.
    Rien ne doit filtrer. C’est le temps du silence.
    Je suis le
berrah
, ce bruiteur qui trompette de scandaleuses vérités sur des scènes publiques au beau milieu de la cité, dans les souks hebdomadaires, le jour de la prière du vendredi saint. Celui qui parle de ce que l’on ne doit ni faire, ni dire, l’inceste, la sodomie, l’adultère, l’homosexualité. Je suis celui qui a vendu la mèche.
    C’est aussi au mois de février que j’ai réalisé l’entretien qui me tenait à cœur avec Hamma Hammami, notre Öçalan, homme recherché par toutes les polices de Tunisie. Il a quarante-sept ans. Sorti de chez lui le 27 février 1998, cet opposant, leader du Parti ouvrier communiste tunisien, le POCT, parti stalinien, interdit, s’est depuis volatilisé. Il est entré dans la clandestinité pour échapper à neuf ans de prison et à de très prévisibles séances de torture. Depuis un an, je le course. C’est mon côté chasseur, prédateur, c’est mon exploit tant attendu bien que redouté.
    Je l’ai rencontré non loin de chez moi, dans un établissement huppé, L’Olivier bleu, où le prix d’un café équivaut à celui d’un kilo de viande. Je ne l’avais pas revu depuis trois ans. Quand je suis arrivé, il était déjà attablé. J’ai été immédiatement frappé par sa maigreur, son calme. Je pensais qu’il serait tendu, inquiet, et très vite l’entretien que j’avais imaginé politique

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