Le Roi amoureux
scélérats soient punis…
– Oui, Sire, et la vertu récompensée, dit Croixmart. Il y a un moyen : cerner la cour des Miracles et y mettre le feu.
– Eh bien ! s’il le faut… Nous verrons… Continue, Loraydan.
– Il y eut donc bataille, et elle fut rude, certes. À la fin, nous parvînmes à mettre en fuite ces démons vomis par l’enfer, mais dans l’algarade, dona Léonor nous échappa…
– Il faut la rejoindre, jour de Dieu ! Et vite !…
– Ce sera difficile, Sire…
– Difficile ? Quand j’en donne l’ordre ?…
Amauri de Loraydan répondit au roi, et l’on eût juré qu’il dégustait ses propres paroles comme une délicate friandise :
– Je n’ai pas dit impossible, Sire. Il n’y a rien d’impossible quand le roi donne un ordre. J’ai dit seulement difficile… Difficile parce que dona Léonor a été emmenée par le chef des truands…
– Le chef ? Quel chef ?
– Oh ! certes, quelqu’un qui savait bien ce qu’il faisait, Sire ! Quelqu’un qui n’ignorait pas que si j’étais à l’hôtel d’Arronces, c’était pour obéir à mon roi…
– Jour de Dieu !…
– Quelqu’un, donc, qui visait plus haut que moi. Je n’étais rien pour lui, ni mes amis. Celui qu’on attaquait en nous, celui dont on voulait faire avorter les projets, celui dont on tournait en dérision la volonté sacrée, c’était le roi de France…
François I er , sous les corrosives paroles de Loraydan, éprouva une réelle souffrance. Des pensées de représailles l’assaillirent. Et sa rage, sa fureur silencieuse, un instant, terrifièrent Loraydan lui-même. Le grand prévôt, immobile, tout raide, sombre incarnation de ces terribles représailles auxquelles songeait le roi, regardait cette scène avec la puissante et dédaigneuse attention de l’homme qui sait voir et entendre.
– Ce chef, murmura le roi, ce rebelle…
– Voilà le vrai mot, Sire : un rebelle !
– Comment le retrouver !… L’as-tu bien vu ?… Saurais-tu le reconnaître ?…
– Je le connais, Sire ! et Votre Majesté le connaît.
– Moi !
– Tout au moins par son nom : c’est celui-là même qui, un soir, dans le chemin de la Corderie…
– Assez, Loraydan, assez ! dit François I er qui se leva tout agité… J’hésitais à faire saisir ce Ponthus, murmura-t-il. Voilà la récompense de ma faiblesse. Mais d’où me venait cette hésitation ?
Il tomba dans une profonde rêverie.
L’image pâlie et indécise d’Agnès de Sennecour se dressa dans son esprit. Et il revit Maugency. Et il revit Philippe de Ponthus à qui Agnès témoignait une si grande confiance. Souvenirs ! Lointains souvenirs ! Quelle est donc votre puissance ? Et d’où vient votre charme ?… Peu à peu, le roi s’apaisait. Peu à peu, sa rêverie le conduisait à des pensées plus douces.
– En se retirant, dit Loraydan, il nous a crié : « Allez dire à votre roi que je lui défends de marcher sur mes brisées et que Léonor d’Ulloa m’appartient… »
François I er tressaillit. Une bouffée de sang monta à son cerveau.
Il s’assit à sa table, attira à lui une de ces feuilles de parchemin scellées de son sceau, qui attendaient là, messagères de joie ou de douleur, prêtes à porter une nomination ou une arrestation, un don royal ou la mort, et, rapidement, il écrivit :
Ordre à notre grand prévôt de saisir partout où il le trouvera, dans les deux jours pour tout délai, le rebelle Clother de Ponthus, fils de…
Il se tourna vers Loraydan :
– C’est bien le fils de Philippe de Ponthus ?
– Oui, Majesté.
Fils de Philippe de Ponthus , continua d’écrire François I er . Le rebelle sera aussitôt conduit en notre château du Temple et soumis à la question ordinaire et extraordinaire jusqu’à ce qu’il avoue son crime. Le procès instruit, la sentence sera exécutée dans les vingt-quatre heures pour tout délai.
Le roi, avec un sourire aigu, relut ce qu’il venait d’écrire.
Puis il tendit à Croixmart la feuille de parchemin tout ouverte.
Le grand prévôt la lut mot pour mot, la plia froidement, et prononça :
– C’est bien.
On eût dit un coup de hache.
XIII
L’INVITATION AU FESTIN DE PIERRE
Lorsque don Juan revint au sentiment des choses, il se vit dans la chapelle de l’hôtel d’Arronces, étendu tout de son long sur les dalles, et ce qu’il aperçut tout d’abord, ce fut le nez de Jacquemin Corentin dont la
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