Le Roi amoureux
Jacquemin :
– N’en parlons plus, Corentin, tu vaux ton pesant d’or. Mais, dis-moi, qui m’a transporté dans cette chapelle ?
– C’est moi, monsieur, aidé de Bel-Argent. Nous voulions entrer dans l’hôtel pour vous déposer sur un lit. Mais un homme vêtu de noir et qui parle latin avec autant de facilité qu’un vicaire ou qu’un médecin, cet homme, donc, nous a fait une façon de sermon sur la vertu et finalement s’est opposé à votre entrée dans le logis : « Mettez-le dans la chapelle, a-t-il ajouté, car il est écrit que la maison du Seigneur doit rester ouverte à tout venant, même au plus coupable. » Bel-Argent, sur ce mot, a voulu lui tirer les oreilles et l’a menacé de l’étriper. Mais je l’ai calmé. Nous vous avons donc porté ici. Et Bel-Argent est parti rejoindre son maître, le seigneur de Ponthus…
– Ha ! fit don Juan pensif. Et qu’est-il devenu, le seigneur de Ponthus ?
– Après la bataille, quand les truands eurent pris la fuite, il s’est approché de vous, monsieur, il a examiné votre blessure, et il a dit : « Ce n’est rien. Bel-Argent, tu vas aider ce brave Corentin » c’est lui qui l’a dit, monsieur ! « à porter le seigneur Tenorio sur un lit de l’hôtel ; puis, tu viendras me retrouver. » Et, se tournant vers moi, il a ajouté : « Corentin, lorsque ton maître s’éveillera, tu lui diras que je suis à sa disposition pour le jour et l’heure qui lui conviendront, et que s’il veut me retrouver, je demeure chez dame Jérôme Dimanche, en face de la Devinière. » Là-dessus, nous sommes partis, vous, Bel-Argent et moi, c’est-à-dire, vous, porté par les épaules et les jambes, et…
– Vraiment ? interrompit don Juan pensif. Chez dame Jérôme Dimanche ?
– Oui, monsieur. Mais qu’avez-vous ?
– Rien. Continue.
Un frisson agita don Juan. Une seconde, ses yeux se révulsèrent. Il passa ses mains sur son front, et dompta l’étrange malaise qui lui venait, le malaise que, certainement, ne provoquait pas sa blessure… un malaise d’âme…
– Monsieur, dit Jacquemin, que voulez-vous que je continue ?
– Dis-moi un peu : que diable faisais-tu dans le parc de l’hôtel d’Arronces, au beau milieu de la nuit ?
– Nous avons bu à tire-larigot, moi, la Cicatrice, et l’homme qui a chaud aux yeux. Si bien que nous n’avons pas remarqué que Bel-Argent était parti. Le temps passait. Tout à coup, voici Bel-Argent qui revient. Il commence par vider une bonne demi-pinte. Puis il nous parle. Il nous raconte ce qui se passe à l’hôtel d’Arronces, si bien que mes cheveux s’en dressent d’horreur, il nous entraîne. Il nous dispose dans le parc, et nous convenons d’un signal. Alors, vous êtes arrivé avec le seigneur de Ponthus, et vous avez mis la rapière au vent. Et puis se produisit l’attaque des truands. Bel-Argent nous donne alors le signal, nous chargeons… quelle bataille, monsieur, quelle bataille ! Et quel lion que le sire de Ponthus !… Je fis de mon mieux, monsieur. Bel-Argent frappa comme un enragé. Les deux pourceaux se battirent en vrais braves et semblèrent y prendre grand plaisir. Tant et si bien que les derniers truands valides prirent la fuite et que nous demeurâmes maîtres du champ clos…
Ayant achevé son récit, Corentin attendit les légitimes félicitations auxquelles il avait droit.
– Jacquemin, dit don Juan d’un ton magnanime, passe pour aujourd’hui ; mais je n’aime pas que, de ton chef, tu t’octroies telles libertés, et si fantaisie te reprend d’aller en prison ou de me sauver la vie ou toute autre sottise pareille, n’oublie pas de m’en demander d’abord la permission.
Juan Tenorio, tout à coup, se sentit pâlir. Il se rapprocha de la petite porte et, avidement, aspira l’air glacial. Il lui sembla que ses nerfs se tordaient ou se tendaient à l’excès, il fut secoué de frissons tumultueux, il se fit peur à lui-même, non parce qu’il pensa que c’était là le début d’un mal, mais parce qu’il eut la sensation d’être envahi par une force diffuse faisant irruption dans son être par tous les pores à la fois… quelle force ? quelle force ? il ne savait pas… et qui l’a jamais su ?… disons : une force, voilà tout.
Don Juan était brave. Il résista violemment. Il refusa de se laisser prendre… la force s’enfuit, – il n’y a pas d’autre manière de dire… en vérité, la force
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