Le Roi amoureux
arrivé ? Dites-moi la vérité.
« Qu’un autre que moi, songea Bel-Argent, se charge de la lui dire, cette vérité. »
– Sur ma foi, noble dame il n’est arrivé que ceci : j’ai reçu l’ordre de me rendre ici avec la litière, à minuit ; c’est fait. J’ai reçu l’ordre de vous remettre cette écriture que vous tenez : c’est fait. J’ai reçu l’ordre de me mettre à votre disposition pour le voyage qui doit être entrepris sur l’heure même et sans hésitation : me voici. J’attends que vous preniez place dans la litière.
– C’est bien, dit Léonor. Vous pouvez vous retirer, mon brave, je ne partirai pas.
Elle frappa sur un timbre. Jacques Aubriot entra.
– Ce brave, dit-elle, demeurera dans l’hôtel jusqu’à l’arrivée du seigneur de Ponthus. Veillez à ce qu’il soit bien logé et qu’il ne manque de rien.
– Vous ne partirez pas ! murmura Bel-Argent suffoqué. Mais, ma gentil-dame, Jacquemin Corentin a lu que le voyage doit être entrepris sur l’heure et sans hésitation ! Cet escogriffe m’aurait-il trompé, ou se serait-il vanté en soutenant qu’il sait lire ? Voyez…
Léonor prit la dépêche, la lut, la rendit à Bel-Argent, et dit :
– C’est bien comme vous dites. Mais je ne partirai pas. Ainsi, soyez en repos, et allez.
– Mais… mais… si le sire de Ponthus se lance sur la route d’Espagne croyant vous rejoindre, et que, cependant, vous soyez ici, jusqu’où ira-t-il ?
– Allez en paix, dit Léonor. Le seigneur de Ponthus, dès qu’il pourra agir librement, commencera par venir ici tout droit.
– Et je dois rester en l’hôtel ?
– N’avez-vous pas l’ordre de vous tenir à ma disposition ?
Bel-Argent suivit alors l’intendant qui multipliait des signes impératifs.
La dame d’Ulloa, cette nuit-là, ne dormit point. Elle ne se retira point dans sa chambre. Elle demeura jusqu’au jour dans la salle où elle avait reçu Bel-Argent. Elle y demeura, jetant parfois un regard sur la dépêche de Ponthus tout ouverte sur une table, écoutant par moment le silence de la nuit, soudain dressée et l’oreille tendue, luttant contre l’angoisse et le désespoir, reculant pied à pied devant les questions qui venaient battre son imagination, comme on recule devant le flot montant.
Quand le jour fut venu, elle sortit ; elle ne s’apercevait pas qu’elle vacillait et que, dans l’air du matin, elle frissonnait.
Elle alla jusqu’à la grille qu’elle entrouvrit, et elle resta là, longtemps, bien longtemps, écoutant avec un nouvel espoir suivi d’une nouvelle désespérance le moindre bruit qui s’élevait dans le chemin de la Corderie.
Et l’un de ces bruits-là, tout à coup, vers dix heures du matin, se précisa, s’amplifia, se rapprocha de l’hôtel d’Arronces, et ce fut soudain, devant la grille, la vision de trois cavaliers escortés de huit gardes de la prévôté et suivis d’une trentaine de commères et de badauds du quartier.
Deux des cavaliers sonnèrent de la trompette.
Un grand silence se fit dans cette petite foule.
Alors le troisième cavalier, qui portait une casaque aux armes du roi, déroula un parchemin et se mit à lire à haute voix.
C’était le crieur-juré…
Ce qu’il lisait au nom du roi, c’était la lettre patente déclarant traître et rebelle Clother, sire de Ponthus, convaincu du crime de lèse-majesté, ordonnant à tous fidèles sujets de lui courir sus, offrant trois cents écus d’or à qui le livrerait vivant et mettant sa tête à prix pour moitié de cette somme.
Un homme avait vu toute cette scène.
Et puis, la foule dissipée, les cavaliers et les gardes partis, ses yeux s’étaient reportés sur Léonor, il la vit défaillir, il la vit tomber et ne fit pas un mouvement pour lui porter secours.
Ce guetteur, c’était Amauri, comte de Loraydan.
Il la vit tomber, et murmura :
– Touchée ! Touchée en plein cœur ! Allons, tout marche à merveille, et la fille du brave commandeur saura, elle aussi, ce qu’il en coûte de… Sur ma parole, je ne la hais pas… Mais pourquoi est-elle en travers de ma route ?… Malheur, donc, à elle aussi, puisqu’elle aime ce misérable ! Malheur à elle, puisqu’elle en est aimée !… Allons, maintenant, allons voir si tout est fini, rue de la Hache…
Mais, à ce moment la porte du logis Turquand s’ouvrit rapidement.
Bérengère s’élança et courut à Léonor.
Elle était accompagnée du maître
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