Le Roi amoureux
ciseleur et suivie de trois ou quatre servantes.
Le comte de Loraydan entendit qu’on donnait des ordres brefs ; il vit que Léonor était soulevée et transportée… Transportée dans le logis Turquand !
En même temps, le maître ciseleur pénétrait dans le parc – sans doute pour aller prévenir les gens de l’hôtel de ce qui venait d’arriver et que la dame d’Ulloa se trouvait en sûreté chez lui.
Amauri de Loraydan demeura immobile, figé par la stupeur, assommé du coup.
Léonor d’Ulloa chez Bérengère ! Rude coup de massue ! Il se dit :
« Je suis perdu. La fille du commandeur va parler de moi. Elle va dire que, par l’ordre du roi, je suis son fiancé. Elle le dira ! Rien ne peut faire qu’elle ne le dise pas. Je suis perdu. Tout m’échappe. Et Bérengère et la fortune. Tout s’écroule. Tout fuit… Que faire, que faire ? »
Il se recula soudain, gagna une sorte de cabane en arrière du logis Turquand, et, tirant de son escarcelle un sifflet d’argent, sans même prendre les précautions auxquelles il ne manquait jamais, lança un strident appel.
Deux minutes plus tard, dame Médarde apparaissait dans le terrain, et venait tout droit à la cabane.
– Cette étrangère qu’on vient de porter au logis, dit Loraydan, il ne faut pas que seule à seule elle parle à Bérengère. Comprenez-vous ? Pas d’entretiens secrets. Pas de possibilité de confidences. Soyez toujours là, entre elles. C’est pour le bonheur de Bérengère. Vous comprenez ?
– Ce sera ainsi, monseigneur. Cette chère enfant, son bonheur avant tout, dit sincèrement Médarde. Mais cette noble dame est donc bien dangereuse ?
– Oui. Et pour assurer ce bonheur, pour écarter ce danger, il faut décider Bérengère à me venir parler en secret. Il le faut ! ah ! il le faut ! Tu sais, femme, tu sais ce que je t’ai promis…
– L’argent n’est rien, dit Médarde, et cependant, son regard s’alluma. Le bonheur de Bérengère est tout. Je l’ai conseillée. Oui, je la conseille tous les jours. Mais elle hésite… elle s’étonne.
– Il ne faut plus qu’elle s’étonne. Il ne faut plus qu’elle hésite…
– Encore deux ou trois jours peut-être… elle se décidera, car elle vous aime.
– Eh bien ! dès qu’elle sera décidée, envoie aussitôt à mon hôtel, ou plutôt, viens-y toi-même. Si je n’y suis pas, tu ordonneras à mon valet de m’annoncer qu’il est temps. Cela suffit. Dans la nuit, je viendrai ici, entre dix et onze heures du soir. Ici, dans cette cabane.
Et Loraydan acheva :
– Femme, rien n’empêche que tu assistes à l’entretien que je veux avoir avec Bérengère hors du logis, puisqu’il est impossible d’entrer au logis sans que Turquand le sache. Tu seras donc là. Et tu m’aideras à sauver Bérengère.
– Oui ! dit Médarde tout à fait rassurée. Je vous y aiderai, de tout mon cœur, et au péril de ma vie, s’il en est besoin.
– Dame Médarde, vous serez royalement récompensée.
– Ce n’est pas pour cela, monseigneur.
Et son regard flamboya.
– Dame Médarde, la somme que je vous ai promise…
– Elle est trop forte, monseigneur !
– Je la double !
Médarde, aussi, avait reçu son coup de massue. Et, déjà, des calculs s’échafaudaient dans sa tête, tandis que, rapide et silencieuse, elle rentrait dans le logis Turquand sans que sa manœuvre eût été remarquée.
Loraydan quitta son abri, gagna la haie vive le long de laquelle il se glissa, puis, quand il fut assez loin, rentra par une trouée sur la chaussée de la Corderie et arriva à son hôtel. Brisard était là.
– Tu as acheté les étrivières ? fit Loraydan.
Brisard pénétra dans l’écurie et revint montrer à son maître une paire de solides étrivières toutes neuves.
– Bon, dit le comte de Loraydan. Maintenant, écoute bien, drôle. Tous les soirs, à sept heures, je serai ici. Demain, après-demain, au plus tôt enfin, une femme va venir à l’hôtel. Elle te dira : « Il est temps. » Et tu auras à me répéter ces mots dès que tu me verras. Les retiendras-tu ?
– Il est temps, répéta Brisard.
– Très bien. Écoute. Si tu n’oublies pas, si tu me répètes la chose à temps, il y aura un écu d’or pour toi. Si tu as le malheur d’oublier, je t’attache, les reins nus, à cet anneau d’écurie, et de ces étrivières neuves, de ton dos je ne ferai qu’une plaie, je t’arracherai la peau morceau par
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