Le Roi amoureux
Louvre et plein de méchantes ornières, et qu’il est aussi le ciel, puisqu’un ange l’habite.
Le roi revenait donc sur sa décision d’attendre quelques jours avant de se livrer à une nouvelle tentative contre Bérengère – sur sa décision aussi de se préparer les voies en faisant arrêter Turquand sous prétexte de fausse monnaie.
Ces esprits de violence et de mensonge, ces esprits de ténèbres ont de ces hésitations et de ces soudains retours à l’audace.
Le roi se croyait sûr du concours de dame Médarde.
Il se disait qu’il entrerait dans le logis du chemin de la Corderie dès qu’il le voudrait sérieusement ; une fois dans le logis, ses quatre gentilshommes suffiraient largement à tenir en respect les quelques serviteurs de céans ; avec l’aide de Médarde, il se chargeait du reste.
Loraydan le lui avait dit : Pourquoi attendre ? Pourquoi pas demain ? Pourquoi pas ce soir ?
Le roi était resté sous l’impression de ce mot et se répétait :
« Pourquoi pas dès ce soir ? Pourquoi tous ces inutiles détours, ces précautions indignes de moi ? Je veux, par le jour de Dieu ! Cela doit suffire. »
À onze heures, Sansac, Essé, Roncherolles, Saint-André, tous quatre fieffés spadassins, braves de la spéciale bravoure des bretteurs, tous quatre légers de scrupules, la conscience en repos, à onze heures, donc, ces quatre gentilshommes se présentèrent au Louvre, la dague et la rapière de bataille au côté, le masque au visage – non pour se dissimuler comme on pourrait le croire, mais simplement parce que la mode était alors de garantir la figure contre le soleil du jour ou le froid de la nuit, comme on garantit les mains par les gants.
Le roi se faisait habiller :
Pourpoint et haut-de-chausses de velours noir, bottes montantes serrant la jambe jusqu’au-dessus du genou, toque de velours noir à plume blanche, grand manteau en drap fin des Flandres, gants souples en peau de daim, à hauts crispins, poignard à la ceinture, forte épée au flanc… ce n’était pas l’épée de Marignan.
Ils sortirent du Louvre, et certes, lorsqu’ils s’avancèrent par les rues noires, dans le vaste silence de Paris endormi, s’ils furent suivis à la piste par quelque truand, si quelque franc-bourgeois à l’affût les regarda passer d’un œil luisant, nul n’osa les attaquer, car à eux cinq ils formaient un redoutable groupe.
Lorsqu’ils atteignirent l’angle de la rue du Temple et du chemin de la Corderie, la grosse horloge de la forteresse, de sa voix grave et lente, racontait aux Parisiens d’alentour qu’il était minuit.
– Réveillons Loraydan et emmenons-le ! décida François I er . Ho ! La porte de l’hôtel est entrouverte… que veut dire cela ?… Entrons !
Dans la cour, ils virent que trois fenêtres du rez-de-chaussée étaient éclairées…
Ils marchèrent à ces fenêtres…
Un sinistre silence pesait sur l’hôtel Loraydan…
Il y avait de l’horrible dans l’air…
XXVII
DITES-VOUS BIEN QUE C’EST UNE RUSE FÉMININE
Au début de cette soirée, vers huit heures, le comte de Loraydan appela Brisard qui s’avança, méfiant, les reins encore douloureux d’avoir étrenné les belles étrivières neuves :
– Va-t’en passer la nuit où tu voudras. Tu reviendras demain à midi. Si, d’ici là, tu as le malheur de venir rôder près de l’hôtel…
Un geste acheva la menace, un simple geste.
Mais ce geste fut tel que Brisard s’élança aussitôt, s’éloigna du chemin de la Corderie à l’allure d’un cheval au trot, traversa la ville d’un trait, la Cité en quelques bonds, et ne se crut enfin presque assuré d’avoir à peu près obéi à l’ordre qu’en arrivant chez un sien parent qui logeait tout au fond de l’Université, et dont il commença par verrouiller la porte.
Loraydan était entré dans la salle des armes de son hôtel.
Elle était au rez-de-chaussée. Bien que déchue de son ancienne opulence, elle pouvait encore s’enorgueillir de deux magnifiques panoplies, l’une de rapières et d’estramaçons, l’autre de dagues et de poignards espagnols ou florentins.
Il se jeta dans un fauteuil, et là, le coude sur un genou, le menton dans la main, le regard fixe et dur, seul avec ses pensées, il précisa la situation.
Il lui fallait opter entre Léonor et Bérengère.
Il avait quelques jours de répit en ce qui concernait son mariage avec la fille du commandeur. Et c’était à peu près
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