Le Roi amoureux
disait :
– Où vas-tu, don Juan ? Où vas-tu ?…
Éperdument, il regarda autour de lui :
Il était seul sur le chemin de la Corderie, seul, tout seul.
Il essaya de rire. Il se raidit furieusement contre l’épouvante qui rôdait par là, guettant l’occasion de fondre sur lui. Il claquait des dents. D’un geste machinal, il se découvrit, et, en touchant ses cheveux, il eut cette sensation très nette qu’ils se dressaient. Il gronda :
– Surnaturelles puissances, je vous nie. Enfer et ciel, vous n’êtes que des mots. Allons !
Il fit quelques pas… et il entendit la voix qui disait :
– Où vas-tu, don Juan ? Où vas-tu ?…
La voix était tout près de lui, et elle lui parut excessivement lointaine. Elle était comme un gémissement, ce même gémissement que, sur les rives de la Bidassoa, avait noté le commandeur Ulloa.
Il leva les yeux dans l’espace, et là-haut, dans une trouée de nuages, il vit une étoile qui brilla une seconde, astre menu, visible à peine, faible et tremblant au fond de l’immensité, et il put croire, il crut que c’était cette étoile qui exhalait un soupir de détresse, lui envoyait sa lamentation.
Et brusquement, l’Épouvante sauta sur lui.
Ceux qui s’imaginent qu’on puisse lutter contre l’épouvante du mystère qui est elle-même un mystère, ceux-là se trompent. Et combien sont-ils, ceux qui ont connu l’Épouvante ?
Elle terrassa don Juan d’un seul coup. Raison, imagination, mémoire, intelligence, tout se disloqua ; la volonté s’abolit, la pensée s’arrêta. Il ne fut plus qu’une loque emportée par l’effroyable tourmente, pareille à ces lambeaux de voile que la tempête arrache au navire et qu’elle entraîne on ne sait où sur ses ailes géantes.
Cela dura quelques minutes.
Puis, la vie reprit à peu près son cours dans l’esprit de don Juan. Et alors, il n’eut plus qu’une idée : s’en aller, fuir, s’arracher à l’inconnaissable étreinte, par n’importe quel moyen, même en fuyant dans la mort, même en se tuant…
Et il s’aperçut alors qu’il pouvait s’en aller… il s’en allait…
Mais il s’en allait en reculant, et ce fut ainsi, ce fut en reculant, les yeux invinciblement attachés sur ce tournant de chemin où il avait entendu la voix, qu’il parvint à la rue du Temple. Alors, subitement, l’Épouvante lâcha prise.
Don Juan reprit le chemin de son logis. Il marchait, vacillant et courbé, comme si quelque immense fatigue l’eût accablé.
Comme nous l’avons indiqué, cette scène se passa huit jours après la capture de Clother de Ponthus.
XXVI
LE ROI FRANÇOIS DÉCIDE UNE DANGEREUSE EXPÉDITION
Revenant de quelques jours en arrière, nous prions maintenant le lecteur de vouloir bien nous accompagner un moment jusqu’au Louvre.
Nous retrouvons François I er dans son cabinet une heure après le départ de Loraydan. Le roi était en compagnie de quelques-uns de ses favoris, parmi lesquels Essé et Sansac, les deux inséparables, M. de Saint-André qui devait devenir maréchal de France, M. de Roncherolles, jeune gentilhomme de dix-huit ans qui débutait à la cour.
Le roi s’inspectait dans un grand miroir de Venise que le pape Léon X lui avait envoyé l’année du traité de Bologne, et il murmurait :
– Suis-je donc déjà assez vieux pour qu’on puisse me dire que je suis encore jeune ?
Il paraît cependant que le miroir du roi finit par se montrer plus clément, car François I er , ayant renvoyé ses courtisans et gardé seulement les quatre que nous avons dit, s’écria, tout joyeux :
– Messieurs, ce soir, nous irons en expédition. Soyez ici à onze heures, et bien armés, car il paraît qu’il y a quelque émotion parmi ces damnés démons de la cour des Miracles.
Les quatre s’inclinèrent d’une même flexion des reins.
– Et où irons-nous, Sire ? demanda le comte d’Essé, qui savait fort bien que le roi attendait cette question.
– Mais nous irons au diable si cela plaît à Sa Majesté, assura Saint-André.
– Avec Sa Majesté, nous ne pouvons aller qu’au ciel, rétorqua le baron de Sansac.
Le petit Roncherolles se taisait. Il regardait. Il écoutait avidement : il faisait son apprentissage.
– Messieurs, dit François I er en riant, nous n’irons ni au ciel, ni en enfer ; nous irons tout bonnement au chemin de la Corderie, bien qu’on puisse dire que ce chemin est vraiment l’enfer, tant il est loin du
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