Le Roi amoureux
Loraydan :
– Comte, dit-il, j’attends que vous m’expliquiez ce qui se passe ici ?
– Sire, dit-il, plaise à Votre Majesté me dire ce qu’elle veut que je lui explique ?
– Tout d’abord la présence de cette malheureuse fille en votre hôtel. Qui l’a attirée ici ?
– Elle y est venue volontairement.
– Mais quelqu’un, sans doute, l’a engagée à y venir ?
– Oui, Sire. Et ce quelqu’un, c’est moi.
– Vous, comte !
– C’est moi qui ai été la chercher, Sire, c’est moi qui l’ai conduite ici.
– Ah ! Et pourquoi ?
– Parce que je l’aimais, Sire.
– Vous aimiez Bérengère ?
– Je l’aimais !
Il y avait on ne sait quoi d’horrible dans ces questions et ces réponses qui se succédaient.
Il est bien probable que François I er souffrait surtout de l’atteinte portée à son privilège. Il y avait donc un homme qui avait osé lui disputer une maîtresse ! Cela était donc possible !
Son regard, il le ramena sur Loraydan, et il dit :
– Vous auriez dû m’en prévenir, m’avouer votre amour pour cette fille. Vous connaissiez mes sentiments. Vous saviez que moi-même je l’aimais. Si vous m’aviez prévenu, je me fusse détourné d’elle, je vous eusse laissé le champ libre. Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?
– Parce que vous m’auriez tué, Sire.
– Tué ! C’est à moi que vous parlez ainsi !…
– Tué ou fait tuer, Sire.
François I er eut un rauque soupir. Il s’éloigna, fit quelques pas, la tête penchée. Loraydan se tenait tout raide comme aux jours de solennelle audience.
Le roi, brusquement, revint sur lui et, de sa même voix sinistrement calme.
– Maintenant, je veux savoir comment est morte cette infortunée.
– Mais, Sire, la chose est visible. Bérengère est morte d’un coup de poignard ; la pointe a atteint le cœur ; la mort a été instantanée.
– Bérengère a donc été tuée ?
– Oui, Sire.
– Par qui ? Dites-le, ou par la mort-Dieu, moi-même, de mes mains, je… dites-moi par qui Bérengère a été tuée !
– Par vous, Sire.
– Par moi !…
– Par vous.
Loraydan disait cela de cet accent paisible et farouche qu’il avait eu dès l’arrivée du roi. Une minute, François I er le considéra avec l’espoir que le comte était devenu fou. Cette folie lui eût expliqué qu’un homme osât parler au roi de France comme Loraydan parlait.
– Non, Sire, dit Loraydan, je ne suis pas dément. Sans doute ce n’est pas vous qui avez décroché ce poignard de cette panoplie et en avez frappé Bérengère. Ce n’est pas votre main qui l’a tuée puisque je l’ai vue, de mes yeux, se frapper elle-même. Mais si vous ne l’aviez pas poursuivie de votre amour, si vous n’aviez pas décidé que Bérengère comme tant d’autres serait votre maîtresse, je n’eusse pas, moi, essayé de vous devancer. Cette fois, Sire, ce n’était pas une ruse féminine. Bérengère s’est tuée parce qu’elle a préféré la mort à l’outrage. Je puis donc dire que c’est moi qui l’ai meurtrie. Mais avouez, Sire, que si remords il doit y avoir, vous devez en porter votre part…
– Messieurs… bégaya le roi.
Il soupira péniblement. Il leva ses deux poings crispés. Son visage se décomposa. Un instant, il fut aussi pâle que la morte qui gisait à ses pieds. Et ce fut d’une voix à peine intelligible qu’il acheva :
– Messieurs, arrêtez le comte de Loraydan…
Les quatre gentilshommes s’avancèrent sur Loraydan, et Sansac qui passait pour son ami le plus intime, lui dit rudement :
– Votre épée, monsieur !
Loraydan tira lentement sa rapière comme s’il eût voulu la rendre ; mais quand elle fut hors du fourreau, d’un bond, il se mit hors de portée, et cria :
– Messieurs, messieurs, arrêtez donc le comte de Loraydan !
En même temps, il s’élança, ouvrit la porte de la salle, et disparut. Les quatre se ruèrent et, de loin, Loraydan put entendre le roi qui hurlait :
– Tuez-le ! Tuez-le ! Malheur à vous tous s’il s’échappe !
Comme il arrivait dans la cour de l’hôtel, il vit les quatre qui accouraient sur lui, l’épée haute. Ensemble, ils fondirent sur lui :
– Tiens ! vociféra le jeune Roncherolles de façon à être entendu par le roi. Tiens, misérable ! Ceci t’apprendra à honorer la majesté royale.
– Mort au traître ! rugit Saint-André.
Tout à coup, un grand silence tomba sur la cour.
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