Le Roi amoureux
cœur ne battait pas.
Bérengère était morte.
XXVIII
LORAYDAN SAUVÉ PAR TURQUAND
Loraydan se leva. S’il se fût regardé à ce moment dans un miroir, il eût vu que toute la partie de son visage qu’il avait appuyée au sein était rouge. Il avait du sang aux mains et du sang au visage. Cela lui faisait une figure de cauchemar, un masque extraordinaire, livide d’un côté, pourpre de l’autre. Il ne s’en doutait guère. De même, il ne s’apercevait pas que ses cheveux étaient tout droits, et qu’il claquait des dents. Il regardait le cadavre, et il y avait au fond de lui cet espoir insensé que le cadavre allait se lever, arracher le poignard demeuré dans la plaie, et se mettre à rire en disant : « Ce n’était qu’une ruse féminine. »
Loraydan s’éloigna de la morte.
Quelque temps, il se promena dans la salle d’armes sans que sa volonté l’y eût incité. Il évitait seulement de regarder vers cette panoplie au-dessous de laquelle, sur le plancher, gisait la chose.
Il sortit dans la cour et regarda le ciel, sans le voir.
Il alla jusqu’à la porte de l’hôtel sans aucune intention d’y aller, et il l’ouvrit. L’instant d’après, il était sur le chemin de la Corderie, et il se dirigea lentement vers le logis Turquand. Il parvint jusqu’à cet endroit de la haie par où il avait fait passer Bérengère et s’y arrêta longuement. Il semblait réfléchir. En réalité, il ne pensait pas. Mais quelque bizarre phénomène avait dû se produire dans son cerveau, car il murmura tout à coup :
– Mais je n’ai pas besoin d’aller chercher Bérengère, puisqu’elle est à l’hôtel…
Il revint alors sur ses pas, trouva la porte de son hôtel entrouverte, telle qu’il l’avait laissée en sortant. Là, il eut une longue hésitation, d’obscurs pourparlers avec lui-même, tantôt voulant entrer, tantôt esquissant le mouvement de s’en aller.
Enfin, il entra ; mais ce fut avec d’extraordinaires précautions. On eût dit que sa vie eût dépendu d’un geste ou d’un bruit qu’il aurait fait de trop. Une minute plus tard, il se retrouva en contemplation devant le cadavre.
Ses yeux se gonflèrent et bientôt s’exorbitèrent. Il éprouvait au bord des paupières un lancinement douloureux. Il les frotta rageusement en disant :
– Oh ! mais qu’ai-je donc aux yeux ?…
Il avait que son être entier appelait les larmes et qu’il ne pouvait pleurer. Confusément, il sentait qu’il eût donné une fortune pour pouvoir sentir enfin ses paupières se mouiller. Mais il ne pouvait pleurer.
Alors il se dit que s’il pouvait éteindre les flambeaux, il en éprouverait certainement un grand soulagement. Car cette douleur qu’il éprouvait aux paupières et remontait aux tempes pour les étreindre dans un cercle de fer, cela venait sûrement des flambeaux. Il se dirigea rapidement vers les flambeaux pour les éteindre. Mais il ne les éteignit pas, épouvanté soudain par cette idée qui lui vint :
« Comment ferai-je pour sortir d’ici lorsque j’aurai tout éteint ? »
Et tout aussitôt, il ajouta :
– Les yeux de Bérengère sont fermés et elle ne peut pas me voir. C’est égal, il est prudent que je n’aille pas près d’elle. Je ferais peut-être mieux de m’en aller d’ici.
Et en même temps, il retourna à la chose qui gisait contre le mur.
Il se pencha à demi, et regarda. Il lui sembla que la curiosité surtout le dominait en ce moment. Mais il évitait de s’avouer la vérité. La vérité était qu’il souhaitait ardemment de ne plus regarder, de ne plus voir, et de s’en aller. Comme il était là, penché sur la chose – depuis combien de temps ? il ne savait pas – il entendit du bruit derrière lui, et des éclats de voix, il se retourna, et il vit le roi.
Quatre gentilshommes accompagnaient Sa Majesté.
C’étaient MM. d’Essé, de Sansac, de Roncherolles et de Saint-André.
Il vit sur leurs visages leur stupeur réelle, leur pitié vraie ou feinte, et il vit que d’un même geste de respect tous quatre se découvraient et saluaient la mort.
Le roi avait mis un genou à terre, appuyé une main sur le sein de Bérengère, et il se relevait maintenant en disant :
– Elle est morte !
Il avait prononcé ces mots d’une voix altérée, et il était très pâle.
Une minute, il contempla cette charmante beauté sur laquelle la mort n’avait pas encore imposé ses hideux stigmates. Puis il se tourna vers
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