Le Roi amoureux
regard sur sa victime… sur ma fille… donnait l’ordre de vous arrêter…
Loraydan eut un profond soupir de délivrance.
Et Turquand, maintenant, s’expliquait :
– Quand je me suis aperçu de la disparition de ma fille… il y a de cela une demi-heure environ… j’ai appelé Médarde : elle avait disparu aussi. Alors j’ai compris que cette femme m’avait trahi… Ma première idée a été de courir vous prévenir… Je suis arrivé, j’ai trouvé la porte ouverte, j’ai vu les fenêtres éclairées, je me suis approché, et je suis entré en agonie, car j’ai tout vu ! j’ai tout compris !… Bérengère a dû être entraînée par l’homme qui s’appelle roi et ses quatre complices… En passant devant votre hôtel, elle a dû crier… votre valet aura ouvert la porte… la pauvre petite se sera débattue, aura échappé à ces truands, aura cherché un refuge dans votre hôtel… la bête de proie l’a suivie, l’a atteinte, et comme elle résistait, il l’a frappée… Voilà, comment je crois que les choses se sont passées. Et vous ?…
– Je ne saurais dire, fit Loraydan à voix basse – et il remit son poignard au fourreau. Tout ce que je sais, c’est qu’en rentrant à mon hôtel, j’ai vu le roi et ses amis. J’ai vu Bérengère, comme vous l’avez vue. Alors, j’ai insulté le roi et ses gens m’ont chargé… C’est tout ce que je sais, ne m’en demandez pas plus : j’ai la tête perdue.
Loraydan eut un sanglot. Un instant, il espéra que les larmes, enfin, allaient jaillir de ses yeux et rafraîchir cette atroce brûlure de ses paupières, mais il ne pleura pas.
Turquand hochait la tête.
– Oui, dit-il lentement, vous avez la tête perdue, et moi, vous voyez, je suis calme comme si l’événement ne s’était pas produit. Cela vient sans aucun doute de ce que je sais que je vais mourir. Dans la galerie souterraine, j’ai mis en sûreté mes richesses. Elles sont à vous. Prenez-les. Il faut vivre, comte, pour que le souvenir de Bérengère vive au moins dans un cœur humain. Pour vivre, il faut commencer par échapper à ces misérables. Venez !
Loraydan suivit le maître ciseleur.
Ils arrivèrent dans la chambre de Bérengère.
Turquand ouvrit l’armoire de fer. Il eut encore un sourire, et dit :
– Tout ce travail aura du moins servi à celui que ma fille avait élu. Partez, comte, et suivez bien mes instructions. Au bas de cet escalier, vous trouverez la galerie souterraine. Vous prendrez la lanterne accrochée dans le caveau. Vous irez au bout de la galerie. Vous trouverez là un escalier correspondant à celui-ci. Vous le monterez et vous aboutirez dans le tombeau d’Agnès de Sennecour. Derrière le sarcophage, j’ai caché un coffre qui contient environ trois millions de livres d’or, – tout ce que j’ai pu transformer en or. Vous y trouverez aussi des bijoux en quantité. Maintenant, écoutez : vous verrez sur une plaque de marbre trois têtes d’anges sculptées en relief. Vous appuierez sur la tête du milieu. La plaque s’ouvrira. Vous serez alors dans la chapelle de l’hôtel d’Arronces. Vous refermerez la plaque. Quand vous voudrez rentrer dans la galerie pour prendre le coffre, vous appuierez sur une aspérité du marbre, que vous trouverez exactement au-dessous du mot Agnès. Adieu, comte ! Ne perdez plus de temps, car je crois que ces truands royaux enfoncent la porte. Adieu ! Pensez à Bérengère !
– Adieu ! bégaya Loraydan.
Il eût voulu trouver à dire quelques mots, soit pour exprimer son affection à Turquand, soit pour le remercier de cette fortune qu’il lui donnait, soit enfin pour l’assurer qu’il conserverait le souvenir de la morte.
Aucune parole ne vint à ses lèvres ; comme il l’avait fort bien dit, il avait la tête perdue. Mais il se disait : « Pourtant j’ai quelque chose à dire. Quoi ? je ne me souviens pas… »
Poussé par Turquand, il entra dans l’armoire de fer.
À l’instant même, la porte se ferma avec un bruit de déclic qui le fit tressaillir de la tête aux pieds.
Et, dans la même seconde, il se souvint de ce qu’il avait à dire ! Il cria :
– Êtes-vous là ?…
– Oui, cher seigneur…
– Ouvrez, j’ai à vous parler.
– Vous pouvez parler. Je vous entends très bien. Quant à ouvrir, ce serait dangereux : ils sont maintenant dans la maison. Que voulez-vous dire ? Je vous écoute.
– Je voulais, fit Loraydan avec angoisse, je
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