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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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conscient, ne le privait pas de lucidité. Comme s'il n'avait pas déjà été au courant de tout – à moins que, faisant preuve d'une inhabituelle impartialité, il voulût entendre un autre son de cloche –, il insista pour se faire relater de la bouche de Philippe la totalité de la bataille. Les yeux le plus souvent mi clos, il ponctuait le récit d'un hochement de tête malaisé, d'une grimace ou d'un maigre sourire. Parfois, il l'interrompait pour boire à longues gorgées ou, au contraire, se pencher vers le seau qu'un écuyer se tenait prêt à lui présenter. À d'autres moments, ses paupières se fermaient tout à fait, il dérivait l'espace d'un instant et contraignait, en reprenant connaissance, son interlocuteur à se répéter.
    Quand l'exposé s'acheva enfin, sur le constat de destruction des machines de guerre, Richard leva la main deux pouces au-dessus de sa couche, paume en avant, comme pour une bénédiction, puis la laissa retomber mollement.
    — Tout cela est bien triste, sire, dit-il d'une voix faible au point que Philippe dut approcher l'oreille de sa bouche pour l'entendre. Mais ce Saladin est un adversaire si habile qu'en toute justice, on ne saurait vous tenir rigueur de cette défaite.
    Ce reproche déguisé en absolution condescendante raviva plus la colère du Français que n'eussent pu le faire injures ou railleries. Le coup d'œil amusé échangé par les frères de Lusignan et plusieurs autres fidèles du Plantagenêt ne lui avait pas échappé.
    — J'ai sûrement été moins habile que Saladin, déclara-t-il avec froideur. Nul doute que vous l'eussiez été davantage… si vous aviez été là pour vous battre.
    Ayant mis dans ces derniers mots tout le mépris possible sans atteindre à l'insulte, il tourna les talons et quitta la tente d'un pas rapide. Les murmures et les ricanements qui s'élevèrent derrière lui le rendirent à ce point furieux qu'il faillit revenir sur ses pas et provoquer en duel un des Lusignan – ou les deux. Il lui restait cependant assez de bon sens pour s'en abstenir.
    Congédiant d'un geste Aubri Clément et le connétable Raoul de Clermont qui l'avaient accompagné auprès de Richard, il rentra chez lui à grandes enjambées, seul.
    Arrivé à Acre au milieu du printemps, alors que régnait depuis peu un temps clément, il avait subodoré les chaleurs de l'été et s'était fait bâtir une demeure en pierre, simple et chichement meublée, mais où l'on jouissait d'une douce fraîcheur. D'ordinaire, il y accueillait volontiers ceux de ses compagnons à qui il plaisait de l'y retrouver, mais ce soir-là, aucun ne viendrait. Tous le connaissaient assez pour savoir que leur présence, lorsqu'il était de pareille humeur, ne faisait que précipiter l'explosion.
    Sans doute, il avait prévu que la situation s'envenimerait, que sa rivalité avec Richard s'exacerberait au cours d'une entreprise où ils n'avaient d'autre intérêt commun que spirituel. Il s'étonnait cependant que les choses fussent allées aussi vite – et aussi loin. La faute n'en allait pas seulement au roi d'Angleterre : on pouvait en imputer une partie à son propre caractère, il le reconnaissait volontiers. Mais il lui semblait parfois que plus il s'efforçait de se dominer, d'arrondir les angles, plus son prétendu ami s'ingéniait à le pousser à bout.
    Il y avait tout d'abord eu l'étape génoise, durant laquelle, manquant de bateaux du fait de la rapacité des armateurs locaux, il avait demandé à Richard de lui en prêter cinq. Il s'en était vu offrir trois que, persuadé d'une intention blessante, il avait refusés.
    Ensuite, il y avait eu Messine…
    La maison de Philippe, construite sur une hauteur, dominait le petit port situé au nord du faubourg de Montmusard, où mouillaient les navires francs. Sur l'un d'eux, se trouvait Bérengère, depuis peu épouse de Richard.
    Et Jeanne…
    Sur lequel, il l'ignorait. On ne le lui eût pas caché, mais il s'était interdit d'interroger, de crainte que la réponse ne le poussât à faire une erreur. Une bêtise de jeune chien fou, indigne de lui, qu'il brûlait néanmoins de commettre.
    Messine avait été le décor d'un peu de joie et de beaucoup de désillusions. Arrivés en Sicile en septembre, par des routes différentes, les deux rois comptaient repartir au plus vite afin de gagner Acre, C'était en tout cas l'intention de Philippe, qui n'avait cependant levé l'ancre à la fin du mois que pour se voir obligé par des

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