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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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vents contraires de regagner le port. Le temps que reviennent des conditions propices à la navigation, l'année était trop avancée pour qu'on ne risquât pas des tempêtes, si bien que la flotte croisée avait hiverné sur place.
    Tancrède, le nouveau roi de Sicile, donnait asile de bonne grâce, semblait-il, à ses royaux visiteurs, mais il ne manquait en fait pas une occasion d'en alimenter les différends. Ainsi s'étaient écoulés six mois de querelles, de fâcheries pour des riens, de réconciliations du bout des lèvres et d'embrassades hypocrites. Les rixes entre soldats français et anglais s'étaient multipliées, chacun des rois prenant ensuite le parti des siens, même lorsqu'ils avaient tort, pour le simple plaisir d'ennuyer l'autre. Un jour de désespoir intense et de ferveur religieuse renouvelée, Richard s'était publiquement flagellé pour se punir de ses péchés. Philippe avait affecté de le juger ridicule, mais au fond, il l'enviait. Ah ! Si lui-même n'avait été que sodomite, s'il avait pu se débarrasser par la mortification de ce qui lui pesait, avec quelle joie il eût déchiré ses vêtements et manié la discipline !
    Les vrais problèmes, cependant, étaient venus des femmes.
    Jeanne, tout d'abord, sœur du roi d'Angleterre et veuve de l'ancien roi de Sicile, que le nouveau n'avait pu éviter de livrer à son frère au lieu de la conserver en otage pour servir sa politique. Dès qu'il l'avait vue, dès qu'il lui avait parlé, Philippe avait senti naître en lui des sensations qu'il croyait enfuies, mortes et enterrées avec Isabelle de Hainaut. Jeanne, à en croire les anciens ayant connu la reine Aliénor au temps de sa splendeur, était le vivant portrait de sa mère.
    D'une beauté frappante, d'une sensualité à fleur de peau encore aiguisée par le soleil méditerranéen, et en outre pleine d'esprit, pétillante. D'une telle femme, on ne pouvait que tomber amoureux. Et puisque le roi de France ne manquait lui non plus ni de charme ni de repartie, ils s'étaient tout de suite entendus à merveille, au point que Philippe avait rêvé d'une union bonne à la fois pour le royaume et pour son souverain. Oh, certes, le précédent mariage de ce type n'avait pas été une réussite, mais si elle ressemblait à sa mère, Jeanne n'était pas Aliénor – et lui n'était pas Louis VII.
    Avant même qu'il fût question de projets matrimoniaux, Richard avait mis une fin abrupte à l'idylle naissante. Nul ne pouvait ignorer les regards qu'échangeaient les deux jeunes gens, aussi le Plantagenêt, farouchement opposé à une union entre les deux royaumes, avait-il pris soin de calfeutrer sa sœur et de lui interdire les visites.
    L'amant déçu n'avait pas protesté : il n'en avait aucun droit. Ce soir-là, pourtant, sur les hauteurs d'Acre, il passa un long moment à contempler la mer et les navires aux voiles ferlées, à se demander ce que faisait Jeanne et si elle pensait à lui autant qu'il pensait à elle. Comment elle réagirait si, bravant le scandale, il la rejoignait. Lorsque la tentation se fît trop forte, il tourna les talons et rentra dans la fraîcheur de la maison : un roi ne pouvait se conduire en luron de village ; un roi devait être responsable. La fille d'Aliénor ne serait jamais sienne. Ne lui restait qu'à l'accepter et à la chasser de ses pensées. Avec un effort, peut-être parviendrait-il à se convaincre que c'était mieux ainsi.
    Sans prendre la peine d'ôter son harnachement guerrier, se contentant de déboucler son épée, il se laissa tomber sur sa couche, les poings serrés.
    Le ressentiment qu'il éprouvait à l'égard de Richard, chaque jour plus intense, n'avait pas Jeanne pour unique cause. À Messine, un Philippe que le dépit amoureux rendait peu diplomate avait remis sur le tapis l'affaire d'Adélaïde, exigeant de son allié l'assurance renouvelée que le mariage se ferait dès le retour de Terre Sainte. Le Plantagenêt, alors, avait tombé le masque : jamais il n'épouserait une femme que son père avait souillée ! Ah ! çà, le prenait-on pour un chien affamé avide des reliefs des autres ?
    La vérité était que, pas plus dans ce sens que dans l'autre, il ne voulait du roi de France pour beau-frère. À force de disputes, il avait enfin avoué qu'il méditait une autre union, avec Bérengère de Navarre, dont il était, disait-on, amoureux de longue date – bien qu'on affirmât également la jeune fille plus sage que belle. Quoi

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