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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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se mettre en travers de son chemin, ce dont il se fût déjà offusqué sans la présence de sa dame.
    — Voilà donc enfin Tristan et Yseult ! s'exclama l'arrivant. Ah ! On peut dire qu'il s'en conte de belles à votre sujet !
    Alors, Renaud le reconnut. Il en resta bouche bée.
    C'était Philippe et ce n'était pas lui. C'était bien sa voix, sa silhouette, quoiqu'un peu amaigrie, mais ce n'était pas son visage, ce n'était pas son regard.
    Les joues creusées, il était entièrement chauve, car son unique coquetterie, chaque matin, consistait à faire raser avec sa barbe les rares cheveux qui lui restaient. Son crâne rose luisait comme du vieux cuir, tandis que des plis profonds creusaient son front. La taie blanchâtre qui recouvrait son œil droit, perpétuellement ouvert, lui donnait un air démoniaque – guère démenti par l'éclat bleu, prédateur, de son œil gauche. Et le moins effrayant n'était pas le tic qui, périodiquement, lui retroussait le coin de la bouche en un involontaire rictus de mépris. Il paraissait plus nerveux, plus vulnérable qu'avant son départ, mais aussi, sans que Renaud pût l'expliquer, plus déterminé, plus dur, presque inquiétant.
    Pour cette raison, au lieu de se précipiter dans ses bras comme il en avait d'abord eu l'intention, le tout nouveau comte de Boulogne s'agenouilla et dissimula son embarras en baissant la tête, tandis qu'Ide saluait elle aussi le souverain avec déférence.
    — Eh bien, quoi ? lança Philippe. Suis-je donc devenu si laid que mes amis refusent désormais de m'embrasser ?
    — Oh, sire, vous n'êtes pas laid ! ne put s'empêcher de s'exclamer la jeune comtesse en relevant la tête. (Rougissant de son audace, elle ajouta :) Ou alors, c'est une laideur qui vous va à ravir…
    Le roi éclata de rire, moitié parce qu'il était bel et bien amusé, moitié pour cacher le trouble que ces paroles faisaient naître en lui : aux regards fuyants qu'il surprenait chez ses proches depuis sa maladie, il s'était cru mué en repoussoir, en sinistre épouvantail qu'aucune femme ne pourrait contempler sans frémir ; la réaction si spontanée d'Ide bouleversait cette conviction. La comtesse n'avait certes rien d'une innocente pucelle, ses goûts fantasques étaient célèbres, mais c'était tout de même une femme.
    L'observant avec attention, il conclut cependant qu'elle ne lui plaisait guère, ce dont il se félicita : c'était une femme, oui, celle de son meilleur ami.
    — Sire, je vous présente mon épouse, la comtesse Ide de Boulogne, disait justement Renaud, lui aussi surpris des paroles de sa compagne, ne sachant trop s'il devait s'en réjouir ou s'en inquiéter.
    — Et vous l'avez conquise de manière si cavalière, sire chevalier, qu'il me faudra bien vous en punir ! lui déclara Philippe avec le plus grand sérieux, avant de baisser la voix pour ajouter : Mais la punition sera douce et, à titre personnel, je te félicite.
    Lui tendant les mains, il le releva et, enfin, tous deux se donnèrent l'accolade.
    — Alors ? chuchota le roi. Tu sais ce que cela fait, désormais, de foutre un comté…
    Cette allusion à une de leurs vieilles plaisanteries raviva tant de souvenirs que Renaud discerna dans le Philippe nouveau une trace de l'ancien, avec lequel il avait grandi, et qu'une partie de son malaise s'évanouit.
    Mais une partie seulement. Les temps avaient changé. L'expédition outre-mer, tel un cocon, avait avalé un roi, en recrachait un autre, et le papillon était à l'évidence moins beau que la chenille.
    Volerait-il ?
    « De bone eure fui nee,
car je n'ai mais qui me destragne
je ne criem privé ni estraigne,
nului – ne bis, ne blont, ne rous.
Or est mes cavestres derous ! »
    (Je suis née sous une bonne étoile, car je n'ai plus personne qui
me torture. Je ne crains ni ami intime ni étranger, personne, qu'il
soit grisonnant, blond ou roux. Mon licou est brisé.)
    Gautier le Leu, La Veuve

Troisième partie
LA LUTTE
    « Elle ne voulut consentir
Que du roi se dût départir
Et disait, comme dame fine,
Qu'elle mourrait toujours reïne. »
    Philippe Mouskès

I

1
    Ce fut au mois d'août que tomba la nouvelle : Conrad de Montferrat, à Tyr, avait été tué par les Ismaéliens. Cette secte au service du mystérieux personnage qu'on appelait le Vieux de la Montagne fournissait des assassins fanatiques à qui en rémunérait les services mais agissait aussi pour son propre compte. Dans le cas présent, on

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