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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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en avait reçu l'ordre, non parce qu'elle le méprisait.
    Cette question le hanterait toute sa vie, à l'instar d'un spectre apparaissant de loin en loin, dans ses moments de faiblesse, car il n'aurait jamais l'occasion de la poser à Jeanne – qu'il ne devait plus revoir.
    De Tyr, il partit pour Tripoli et, au terme d'une longue série d'étapes, aborda à Otrente en automne. Il gagna Rome, où il s'entretint avec le nouveau pape sans oser lui confier les angoisses qui le rongeaient, se contentant de décrire avec éloquence le mal dont il avait souffert. Célestin III, vieillard de grande piété mais de faible envergure, en fut assez impressionné pour lui accorder l'absolution quant à l'abandon de sa tâche.
    Muni de cette assurance infaillible que Dieu ne lui en voulait pas de sa défection, Philippe fit alors route vers la France, et il arriva en son château de Fontainebleau vers la fin décembre, à temps pour célébrer la Nativité. Lorsqu'il eut baisé sa mère au front et serré dans ses bras son fils guéri, tellement grandi qu'il ne le reconnut pas, il s'autorisa enfin un long, un très long soupir de soulagement. Il était rentré chez lui et il était en vie : pour l'heure, il n'en demandait pas plus.
    « Le vendredi 17 jumada [12 juillet] à midi, on vit les croix
et les drapeaux des Francs se dresser sur les murs de la ville. Une
immense clameur retentit du côté des Francs et l'affliction des
monothéistes redoubla. Les plus sages se bornaient à dire : Nous
appartenons à Allah et c'est vers Allah que nous retournons ! Tous
étaient saisis d'épouvante, frappés de stupeur. Le camp retentissait
de cris, de plaintes, de sanglots et de gémissements, »
    Abou Chama, Le Livre des Deux Jardins

3
    Renaud de Dammartin et sa nouvelle épouse, Ide, venus de Boulogne, arrivèrent à Fontainebleau le jour de Noël, afin de faire hommage de leur comté au roi de France.
    Tandis que d'autres s'en allaient batailler pour reprendre le tombeau du Christ aux Infidèles, Renaud ne s'était pas privé de batailler pour son compte. Puisque le comte de Flandre, tuteur de la jeune veuve, avait opposé un refus lapidaire à sa demande en mariage juste avant d'accompagner Philippe en Terre Sainte, il avait enlevé l'objet de sa convoitise au fiancé qu'on lui destinait, Raoul d'Ardres. Désinvolte, emporté, parfois brutal, le chevalier savait aussi trouver, quand il le fallait, les mots qui chantaient à l'oreille des femmes : Ide, succombant à son charme, lui avait avoué juste à temps avoir lancé un appel au secours à Raoul – lequel, pris dans une embuscade, avait achevé au fond d'une geôle sa chevauchée vengeresse. Ensuite, Renaud avait tout tranquillement épousé sa maîtresse consentante et ravie.
    Il se conférait ainsi des droits sur le comté de Boulogne, qu'il s'était empressé de reprendre, les armes à la main, aux troupes du comte de Flandre. Cet homme-là savait ce qu'il voulait et ne s'arrêtait à rien pour l'obtenir. La mort de Philippe d'Alsace en Terre Sainte, cependant, lui avait été un grand soulagement : le tuteur d'Ide disparu, Boulogne ne dépendait plus que d'un roi de France qui ne sourcillerait pas trop des moyens employés, puisqu'il avait commandité l'affaire.
    Les jeunes mariés formaient à la vérité un fort joli couple : grands, blonds, d'une beauté sensuelle. Ils donnaient l'impression de s'adorer, et s'adoraient peut-être encore, mais qui les connaissait ne leur donnait pas longtemps pour reprendre amants ou maîtresses d'occasion. S'ils évitaient de s'en faire grief, peut-être vivraient-ils en bonne intelligence.
    La cour du château était couverte d'une neige épaisse, dans laquelle sabots de chevaux et roues de chariots gravaient des traces sales. Le soleil ne parvenait pas à percer la couche de nuages gris, bas, qui masquait le ciel. En cette fin de matinée, on se fût cru au crépuscule.
    Renaud, au bras de son épouse, s'avançait vers la grand porte, tandis que les palefreniers conduisaient aux écuries leurs chevaux et leur voiture. À l'idée de revoir son ami, qu'il brûlait de présenter à Ide, à l'idée de le divertir du récit de ses exploits, il se sentait le cœur joyeux.
    Il posait le pied sur le large perron quand la porte s'ouvrit, livrant le passage à un inconnu en bliaud pourpre qui se posta au sommet des marches, les poings sur les hanches, et toisa le couple avec une morgue goguenarde. Le chevalier se demanda qui osait ainsi

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