Le roi d'août
cortège au côté de sa fiancée, seulement précédé de deux porteurs de bannières et des inévitables massiers. À l'abbé d'Aebelholt et à l'évêque de Noyon, artisans du mariage, il accorda le grand honneur de réclamer leur présence juste derrière lui. C'était, ils ne tardèrent pas à le comprendre, pour pouvoir s'entretenir avec eux chemin faisant.
Les futurs époux avaient pour seule langue commune le latin, et Philippe, guère passionné de lecture, en connaissait surtout le vocabulaire liturgique. Puisqu'engager un débat théologique avec une inconnue semblait inapproprié, il se laissa peu à peu dépasser par la jeune fille et en arriva à chevaucher au côté d'Étienne de Noyon, qu'il interrogea avec une impatience croissante.
Non, Knut ne céderait pas ses droits sur une Angleterre qu'il ne désespérait pas de conquérir, tels ses belliqueux ancêtres. Non, il ne mettrait pas sa flotte à la disposition du roi de France : il en avait besoin pour défendre ses propres terres. Il n'eût consenti à ces conditions qu'en échange d'un soutien militaire contre l'empereur, ce qui n'était pas envisageable. On s'était donc rabattu sur une dot monétaire : dix mille marcs d'argent.
Non, la totalité des dix mille marcs ne se trouvait pas sur les bateaux : on avait dû accepter des paiements échelonnés…
— En bref, vous avez échoué sur toute la ligne, messeigneurs, résuma Philippe en couvant ses négociateurs d'un regard contrarié. Je ne vous félicite pas.
L'affaire n'était pas si mauvaise : une autre héritière ne lui eût pas apporté plus, et l'argent, même versé en plusieurs fois, servirait à conserver Richard en captivité. Toutefois, il ne déplaisait pas au roi de montrer son mécontentement : ses envoyés auraient à cœur de se racheter.
— Vous n'envisagez pas d'annuler notre projet, sire ? s'enquit Noyon, presque timide.
— Nullement. Il me faut une femme, et celle-ci, si elle a à moitié autant d'esprit que de charme, fera une excellente reine.
— Il est vrai que madame Ingeborg est très belle, admit l'évêque.
— Seigneur ! soupira Philippe. Je ne m'habituerai jamais à ce nom. Il écorche la bouche.
— Nous avons étudié le problème, sire, s'immisça l'abbé d'Aebelholt, et il semble que nous ayons trouvé la solution.
— Ah, vraiment ? lança le roi.
Presque malgré lui, il se surprenait à contempler la jeune fille qui chevauchait juste devant lui, à en admirer la silhouette et le port gracieux, aussi était-il à demi rêveur, distrait, quand Guillaume répondit à sa question.
— On l'appellera Lysamour.
Philippe sursauta. Un visible frisson le traversa tout entier.
— Qu'avez-vous dit ? aboya-t-il, les joues et le front parcourus de contractions spasmodiques, en se tournant vers un abbé stupéfié.
— J'ai dit, sire, balbutia son interlocuteur, qu'on l'appellerait Isambour : c'est assez proche de son véritable nom et cela sonne agréablement aux oreilles françaises. N'êtes-vous pas de cet avis ?
— Isambour… répéta le roi, comprenant l'illusion auditive dont il avait été victime. Isambour, oui, c'est très bien. Cela rappelle Isabelle. Excellent choix, messire Guillaume, excellent choix…
Puis, troublé malgré tout, embarrassé des sueurs froides que lui avait causées sa brève attaque nerveuse, il éperonna son cheval pour remonter à la hauteur de son épouse. Le cortège arrivait en ville, toutes les églises d'Amiens faisaient assaut de carillon ; la population en liesse, ivre de soleil, de bière et de cette joie qui l'envahissait toujours lors des réjouissances officielles, bordait la route de la cathédrale. Le couple royal devait se montrer uni, serein.
Quand Philippe découvrit la foule, une pensée importune naquit en lui : et si le Vieux de la Montagne avait menti ? Et si quelque assassin se dissimulait au cœur de cette multitude, prêt à décocher un carreau d'arbalète ? Agacé, il se contraignit à chasser ces idées morbides dénuées de fondement, à se concentrer sur les saluts qu'il adressait à ses sujets. Il y parvint plus aisément qu'il ne l'eût cru.
Lorsqu'il avait annexé Amiens au domaine royal, huit ans plus tôt, il avait confirmé les libertés dont bénéficiait la ville, pour l'essentiel autonome, aussi y jouissait-il d'une grande estime traduite ce jour-là par l'accueil triomphal qu'on lui faisait en ses murs.
Ingeborg, fille et sœur de roi, était
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