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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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ses actes, cependant : chaque fois qu'il sauvait une vie, mille autres, dix mille autres s'éteignaient sans qu'il y pût mais, en ce jour de liesse, sous le soleil éclatant du mois d'août français, il lui semblait accomplir enfin son vœu le plus cher. Le destin avait voulu qu'il fût l'instrument d'un événement de la plus haute importance : l'union de deux royaumes, d'un prince et d'une princesse tous les deux si sages que leurs génies se compléteraient, que Dieu leur accorderait des enfants exceptionnels. Le cours de l'Histoire, très certainement, en serait infléchi, et pour la toute première fois de sa vie, Guillaume d'Aebelholt ressentait quelque chose qui ressemblait à de la fierté. Puisqu'il ne s'en rendait pas compte, toutefois, il ne s'en faisait pas grief.
    Il échangea un sourire avec l'évêque de Noyon, à son côté, puis tous deux se tournèrent sans s'être consultés vers celle qui se tenait devant eux, altière, malgré la chaleur qui l'étouffait. La finesse des robes qu'elle portait sous son bliaud immaculé n'empêchait pas Ingeborg, fille du froid, d'être trempée de sueur. Son souffle oppressé s'élevait parfois, un peu rauque, au-dessus du bruit de l'eau que fendait la proue du navire.
    L'abbé la connaissait depuis sa naissance. Il avait vu l'enfant joyeuse et tendre se muer en une jeune fille avisée, modeste ainsi qu'il convenait à son rang et à son sexe, et en outre aussi pieuse qu'une sainte. L'ayant maintes fois confessée, il la savait pure de tout péché sinon les plus véniels – un goût prononcé pour les confitures n'étant pas, selon lui, une raison suffisante de refuser l'absolution.
    Ce n'était pourtant pas faute d'attirer les regards. Ingeborg, dans l'éclat d'une féminité encore neuve, personnifiait la princesse telle que la rêvaient tous les chevaliers : grande, la peau laiteuse, la poitrine pleine et haut-perchée soulignée par le corselet ajusté du bliaud, la taille fine au-dessus de hanches faites pour la maternité, de lourdes tresses blondes réunies sur la nuque, qu'un voile trop fin avait bien de la peine à masquer. Si elle ne s'était pas mariée plus tôt, en dépit de ce physique qui l'avait fait désirer des plus grands seigneurs, c'était sans doute que les femmes de cette famille inquiétaient. Une de ses sœurs, fiancée à un fils de Frédéric Barberousse, avait été chassée de Germanie à la suite d'un différend entre l'empereur et le roi Knut VI. Sa propre mère avait été répudiée au bout de deux ans d'un second mariage agité. Les nobles Danoises étaient-elles maudites, qu'aucune d'elles ne pût jouir de félicité conjugale ? Selon Guillaume, il était temps de tuer dans l'œuf cette rumeur : Ingeborg serait heureuse, il ne pourrait en être autrement.
    Le bateau se rapprochait du débarcadère. Les silhouettes indistinctes de tout à l'heure se séparaient en individus que le vieil abbé reconnaissait parfois pour les avoir croisés lors de son séjour à la cour, quelques mois plus tôt. Il y avait là tous les chevaliers de l'entourage du roi, quelques-uns de ses plus puissants vassaux accompagnés de leurs épouses, notamment le comte et la comtesse de Boulogne, ainsi que nombre d'ecclésiastiques – dont l'archevêque de Reims qui, le lendemain, procéderait au couronnement. Au premier rang, à quelques toises de la berge, se tenait Philippe lui-même, vêtu de bleu clair, monté sur un palefroi noir de haute taille qui faisait de lui l'un des plus impressionnants cavaliers présents.
    Dès qu'elle l'aperçut et le reconnut pour ce qu'il était, bien avant de distinguer ses traits, Ingeborg baissa les yeux, rougissante. Étrange destin que celui des filles de rois, à qui nul ne demandait jamais leur avis sur l'homme qu'on leur donnait comme époux, qui quittaient leur famille, leur pays, souvent à l'âge le plus tendre, pour pénétrer d'un coup dans l'intimité d'un inconnu auquel elles devaient se soumettre. La jeune Danoise était pure, non pas ignorante : elle savait ce qui se produirait le soir même dans la chambre nuptiale ; elle en était à la fois gênée et terrifiée. Pour l'heure, au moment de rencontrer celui qui ferait d'elle une femme, c'était sans conteste la gêne qui dominait – une pudeur de vierge lui allant d'ailleurs à ravir, selon Guillaume. La terreur se réveillerait plus tard, quand elle serait seule avec son époux.
    Le navire accosta enfin. Une passerelle fut mise en place

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