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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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longtemps contre l'opinion quasi unanime, il était bien décidé à en tirer le plus possible, recevait quiconque désirait s'entretenir avec lui sur le sujet et attendait les enchères, tel un vulgaire maquignon.
    Et le mois d'août arriva, ce mois qui avait vu la naissance de Philippe, vingt-huit ans auparavant mais ne lui avait ensuite guère valu que des catastrophes : sa terrible aventure en forêt de Pontoise, la mort de Geoffroy Plantagenêt… Quoique se défiant de la superstition, le roi n'abordait jamais sans une certaine appréhension les semaines torrides qui précédaient son anniversaire. Qu'allaient-elles lui réserver, cette année-là ? Son mariage avec Ingeborg de Danemark était prévu pour la veille de l'Assomption, afin qu'on pût couronner la nouvelle reine dès le lendemain, et il n'y songeait jamais qu'avec un mélange d'excitation et d'angoisse. Ah ! Certes, il serait stimulant d'avoir à sa merci cette jeune vierge qui se croirait tombée aux mains d'un soudard hideux, de lui prouver par la douceur qu'elle n'était pas destinée à être aussi malheureuse qu'elle le croyait. Mais aurait-il la patience et l'ardeur nécessaires ? Dans l'état d'épuisement nerveux où il se trouvait, il devait se concentrer pour seulement tenir sa coupe sans trembler, pour ne pas se trémousser sans cesse sur le banc lorsqu'il était assis, pour songer à autre chose qu'à la mort. Honorer une femme, même une jolie petite princesse tendre et dévouée, sinon aimante, lui paraissait pour l'heure au-dessus de ses forces. Était-ce donc là la catastrophe que lui promettait ce nouveau mois d'août ?
    Quelques jours avant l'arrivée d'Ingeborg, cependant, un événement lui donna confiance en l'avenir : les messagers envoyés auprès du Vieux de la Montagne rentrèrent à Paris, porteurs de lettres formelles signées de Rachid al-Din Sinan. Sur sa foi et son honneur, le maître des Ismaéliens affirmait n'avoir reçu ni de Richard ni de quiconque la mission d'assassiner le roi de France. Il innocentait en outre le Plantagenêt du meurtre de Conrad de Montferrat.
    La première des deux missives fut rendue publique. L'autre ne demeura connue que de Philippe et de ses proches. Rien de ce qui pouvait redorer le blason de l'Anglais ne devait transpirer pour le moment.
    Le roi, dès lors, commença à se détendre. Il conserva ses massiers par habitude mais n'hésita plus à s'éloigner d'eux et ne les fit plus coucher dans sa chambre, où il put enfin dormir tranquille. Toute son énergie était de nouveau au service du royaume ; peut-être même réussirait-il à en distraire une petite part à son usage privé.
    Ce fut donc d'humeur optimiste qu'il partit pour Amiens, où il devait rejoindre sa fiancée.
    Il lui semblait que la malédiction d'août était conjurée.
    N'est pas mervoille se j'ai le cuer dolant,
Quand mes sires mest ma terre en tormant.
S'il li membrast de nostre soirement
Que nos feïsmes andui communement,
Je sai de voir que ja trop longuement
Ne seroie ça pris.
    Richard Cœur de Lion
    (Ce n'est pas étonnant si j'ai le cœur douloureux quand mon
seigneur met ma terre en désordre. S'il se souvenait du serment
que nous fîmes, tous deux, d'un commun accord, je sais bien que
je ne serais plus pour très longtemps, ici, prisonnier.)

3
    Si un homme avait le cœur joyeux quand le cortège de petits bateaux qui remontait la Somme arriva en vue du débarcadère d'Amiens, c'était bien Guillaume d'Aebelholt, abbé de Saint-Thomas-du-Paraclet.
    Debout sur le pont du premier navire, sous le baldaquin écarlate qui protégeait du soleil les passagers, il contemplait la berge où attendait l'escorte royale française. Des chevaux, des chariots, une foule colorée d'hommes et de femmes en habit d'apparat, tous de noble naissance – la population demeurait contenue à l'écart, sur le chemin qu'emprunterait le cortège pour se rendre à la cathédrale.
    Guillaume oscillait d'instinct avec l'embarcation. Bien qu'il eût plus de quatre-vingts ans, il avait trop voyagé pour ne pas conserver le pied marin. Sa fragilité apparente recouvrait un corps solide, forgé par une existence d'ascèse et de labeur au service des autres. Toute sa vie, l'abbé d'Aebelholt avait désiré faire œuvre utile, prêcher par l'exemple l'amour du Christ, et il avait redressé quelques torts, soulagé quelques détresses, il l'admettait sans forfanterie. Il lui était souvent arrivé de déplorer le peu de conséquence de

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