Le roi d'août
et les quelques chevauchées menées récemment l'avaient endurci, si bien que sa haute stature s'accompagnait d'une musculature puissante, à peine dissimulée par son léger vêtement. Il avait l'air d'un homme, d'un guerrier, il avait l'air rude, brutal et impitoyable. Il était terrifiant.
Lorsqu'il s'avança à pas lents vers elle, la jeune fille ne put retenir un petit gémissement apeuré. Ses yeux s'écarquillèrent, mettant fin à une comédie du sommeil dont son époux n'avait jamais été dupe.
— N'ayez crainte, ma mie, dit-il d'une voix aussi douce que possible. Je n'ai nulle intention de vous faire du mal.
S'asseyant au bord du lit, il s'aperçut qu'elle tremblait ; après avoir cru mourir de chaud tout l'après-midi, elle était soudain glacée. Il lui prit une main qui s'abandonna comme à regret mais sans résister. Alors, tout en lui caressant le poignet délicatement, il rassembla son latin pour lui dire qu'elle était belle, détentrice de toutes les vertus, et qu'ils allaient beaucoup s'aimer. Il ne lui dit pas qu'il la désirait, car il n'avait pas les mots nécessaires – quand il était question du désir sexuel à la messe, c'était en des termes qu'il n'estimait pas appropriés –, mais elle dut le lire tout de même dans son regard.
Ingeborg avait toujours peur, ses yeux en témoignaient.
La douceur de Philippe, toutefois, fit qu'elle cessa de frissonner et se contraignit à sourire. D'une toute petite voix, elle déclara qu'elle était son humble servante. Elle eût voulu ajouter quelque chose de mémorable, mais à elle aussi les mots manquèrent, bien qu'elle fût plus lettrée que lui.
Elle sursauta lorsqu'il avança une main pour lui caresser les cheveux, puis la joue.
— N'aie pas peur, reprit-il, toujours en latin. À présent, il nous faut nous épouser vraiment.
Les lèvres entrouvertes de la jeune fille se refermèrent tel un coquillage lorsqu'il les effleura du bout d'un doigt. Il en suivit les contours puis se pencha pour les embrasser. Sa langue se heurta à un barrage de dents serrées. N'apprenait-on rien aux filles nobles, au Danemark ? On ne pouvait certes compter sur les clercs qui les éduquaient pour leur enseigner l'art du baiser, mais leurs suivantes, à tout le moins, eussent pu faire un effort. Même Isabelle, bien plus jeune, avait été moins innocente.
Songer à sa défunte épouse rappela à Philippe combien il s'était montré détestable lors de leur première nuit, combien le dépucelage de la jeune reine avait été douloureux, aussi bien moralement que physiquement. Soucieux de ne pas se rendre coupable d'un nouveau martyre, il combattit son impatience et entreprit de forcer le barrage par la tendresse, faisant peu à peu comprendre à sa compagne ce qu'il attendait d'elle. Dès qu'elle en eut assimilé le principe, d'ailleurs, Isambour se livra au baiser avec une bonne volonté à laquelle ne manquait qu'un peu de décontraction pour être de l'ardeur – au point qu'on pouvait se demander si ses réticences prédécentes n'étaient pas dues à la timidité plutôt qu'à l'ignorance.
Encouragé, Philippe se redressa et tira jusqu'au pied du lit le drap qui la recouvrait. Elle ferma les paupières, pudique, tandis qu'il laissait errer son regard sur ce corps qu'il n'avait encore que deviné et qu'il découvrait enfin, en tous points conforme à ses espérances. La peau très blanche, que la lumière des chandelles ne parvenait pas à cuivrer, les seins aux larges aréoles roses, qui conservaient leur galbe en dépit de la position couchée, les cuisses longues et pleines, le fin duvet blond du pubis… On eût cherché en vain un défaut sur cette silhouette de déesse ; Philippe croyait n'avoir jamais encore contemplé une telle perfection.
Il laissa choir sa chemise au sol. Ingeborg, qui avait à demi rouvert les yeux, se hâta de les refermer en apercevant la nudité peu discrète de son époux : elle avait déjà vu des hommes en tenue d'Adam, au bain, mais jamais dans pareille disposition. En elle, à présent, le trouble le disputait à la crainte.
Soucieux de l'apaiser et de la stimuler par la voix aussi bien que par les gestes, sûr que le ton lui ferait deviner le sens des mots, Philippe lui parla à nouveau, en français. Avec toute la lenteur dont il était capable, il explora le corps de la jeune fille, le caressa, le pressa du visage jusqu'aux pieds, s'attardant sur les épaules, la poitrine, les hanches, les genoux,
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