Le roi d'août
et chacun attendit que, la première, Ingeborg l'empruntât. La jeune fille, troublée de se sentir le centre de l'attention, demeura quelques instants figée, puis inspira profondément et puisa dans sa fierté le courage de s'avancer.
— Vous promettez de me soutenir si je défaille, messire Guillaume ? interrogea-t-elle dans sa langue natale, non sans humour, en se retournant brièvement vers l'abbé.
— J'en fais le vœu solennel, madame, répondit-il, mais vous ne défaillirez pas.
S'il l'appelait « madame », c'était que le roi Knut avait exigé dans les termes du contrat de mariage que sa sœur fût traitée en reine dès qu'elle aurait posé le pied en terre de France. Une demande bizarre, compte tenu du fait qu'Ingeborg serait de toute manière couronnée le lendemain, mais qu'il ne coûtait guère de satisfaire. Que craignait le Danois ? Que Philippe renonçât au mariage lorsqu'il serait averti de l'échec des négociations en ce qui concernait la dot ? Tandis que la jeune fille empruntait la passerelle à pas lents, la tête toujours baissée, dans un silence religieux, l'abbé étouffa une grimace : il était heureux qu'Étienne de Noyon se fût porté volontaire pour apprendre la nouvelle à leur maître ; cela le soulageait d'une angoisse.
Dès qu'Ingeborg s'était avancée, le roi avait mis pied à terre. Lorsqu'elle le vit venir à sa rencontre, elle sentit ses jambes flageoler et se réjouit qu'une révérence fût tout indiquée.
— Salut à toi, Philippe, roi des Français… articula-t-elle en latin, oubliant d'attendre que son fiancé lui adressât la parole pour réciter cette formule soigneusement apprise par cœur.
Sa gorge serrée, au demeurant, ne lui permit pas d'achever : incapable de prononcer un mot supplémentaire, elle rougit de plus belle et demeura agenouillée sans bouger, sûre qu'il allait la trouver ridicule.
— Relevez-vous, madame, dit-il. Vous êtes très belle et c'est avec une grande joie que je vous accueille pour faire de vous ma femme.
Ingeborg n'entendait pas le français : ses maîtres, mauvais prophètes, n'avaient pas jugé utile de le lui enseigner. Elle réagit cependant à la douceur de la voix et du ton, comprit qu'on ne se moquait pas d'elle, qu'on lui souhaitait la bienvenue, et enfin, elle osa lever les yeux.
Guillaume d'Aebelholt l'avait suivie comme son ombre. Il contempla au même instant qu'elle le visage du roi, le trouva empli de noblesse et d'une rude beauté. En Philippe, il ne voyait que la gloire du souverain. La jeune fille, elle, vit l'homme avant tout. Un homme dont le chaperon dissimulait la calvitie mais dont rien ne cachait l'œil abîmé ni les tics faciaux.
Elle le trouva repoussant.
L'espace d'un battement de cœur, elle songea qu'elle allait passer le restant de ses jours au côté de cet être qui paraissait tout droit sorti d'une légende de son pays, et elle eut un haut-le-corps ; ses yeux s'écarquillèrent de surprise, d'horreur. Son éducation et sa nature respectueuse, toutefois, prirent aussitôt le dessus, si bien qu'elle se contraignit à baisser de nouveau la tête, à maîtriser son expression. Cela se passa si vite que Guillaume d'Aebelholt ne se rendit compte de rien.
Philippe, lui, avait vu.
Faute d'être étonné, il était un peu déçu : il n'avait pu s'empêcher d'espérer, sans y croire vraiment, qu'elle n'aurait pas ce réflexe de dégoût, que la fascination supplanterait la répulsion. Comme toutes les autres, la jolie Danoise aimait les beaux jouvenceaux. Pouvait-il décemment le lui reprocher ?
Mais peu importait. Elle, au moins, était bien telle qu'on la lui avait décrite : il brûlait d'impatience de la tenir entre ses bras. Sans doute dépasserait-elle cette première impression négative. Et si tel n'était pas le cas, ma foi, elle le subirait.
Impeccable de galanterie, il ne lui laissa pas voir qu'il avait remarqué sa réaction. Il lui prit les mains avec douceur, sous les vivats longtemps contenus de l'assistance, l'aida à se relever et la conduisit jusqu'à la jument blanche au harnachement doré qu'on avait préparée pour elle. Ingeborg, tout aussi flegmatique, le laissa lui mettre le pied à l'étrier et la hisser jusqu'à la selle, où elle s'assit en amazone, ainsi qu'il seyait à une dame. Tandis que les voyageurs arrivés par la rivière, Français et Danois confondus, montaient également à cheval, Philippe rejoignit son palefroi afin de prendre la tête du
Weitere Kostenlose Bücher