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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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dans la rue, les vivats éclatèrent, couvrant jusqu'au tintamarre des cloches. Une foule immense que le guet avait bien du mal à contenir s'était rassemblée, décidée à partager la joie de ses souverains.
    Joie dont on eût cherché en vain la trace dans l'expression du couple royal : Ingeborg, tendue, les yeux baissés, se mordait la lèvre inférieure ; Philippe, la tête haute, l'œil sombre, serrait les dents, toute sa volonté concentrée sur ses tics faciaux qu'il désespérait de juguler.
    Un cortège ecclésiastique en grande partie formé d'évêques de la région les attendait pour les escorter jusqu'au site du couronnement, avec dans leur sillage les grands seigneurs et les nobles dames du royaume. Il faisait beau, une fois de plus, en ce mois d'août. Le soleil qui au même moment ravageait les campagnes semblait en ville de bon augure. À son éclat radieux, à l'exubérance de la foule, à la mine réjouie des chevaliers, à la tranquille sérénité des clercs, répondait la gravité du roi et de la reine, dont nul ne s'étonna car on pouvait l'attribuer au recueillement, à la solennité de l'événement.
    Sur le parvis de la grande cathédrale romane, se tenait l'évêque de Beauvais. Digne comme il savait l'être lors des rares occasions officielles où il troquait le haubert contre l'habit sacerdotal, la tonsure sans doute rafraîchie mais dissimulée par la mitre, il attendit que les souverains se fussent arrêtés devant lui, que le reste du cortège se fût déployé en arc de cercle autour d'eux, puis il écarta les mains, leva les yeux vers le ciel et prononça d'une voix de stentor une vibrante oraison.
    — Ô Dieu ! qui savez que le genre humain ne peut subsister par sa propre vertu, accordez votre secours à Philippe et à Isambour, votre serviteur et votre servante, que vous avez mis à la tête de notre peuple afin qu'ils puissent protéger ceux qui leur sont soumis, acheva-t-il dans l'émotion générale.
    Il se retourna et entra lentement dans la cathédrale, dont la pénombre et la fraîcheur contrastaient avec l'air déjà étouffant du parvis inondé de lumière. Dans les profondeurs du lieu saint, la chorale entama une antienne. Sans se consulter, le roi et la reine emboîtèrent au même instant le pas à l'évêque, et le cortège se reforma derrière eux. Ils marchèrent ainsi jusqu'à la nef, baignés dans un parfum d'encens, franchissant çà et là les barrières immatérielles des rayons de soleil qui traversaient les vitraux colorés.
    Assisté de ses suffragants, l'archevêque de Reims se tenait devant l'autel dans une posture quasi hiératique, sa petite taille compensée par la raideur de son dos et par sa mitre. L'oncle du roi, le seul qui lui restât ou qui conservât quelque importance, avait de quoi être satisfait : le temps était loin où l'on se défiait de lui au point de faire couronner la reine par un autre. Aujourd'hui, certains allaient jusqu'à l'appeler « le deuxième roi », tant son influence était grande à la cour. Ce ne fut pas sans une grande jubilation qu'il vit s'agenouiller devant lui les deux souverains – mais il prit néanmoins l'air humble, aussi humble qu'il le pouvait, en tout cas, pour les bénir.
    Lorsqu'ils se relevèrent, Guillaume aux Blanches Mains sursauta : il venait de croiser le regard de son neveu et son allégresse s'en trouvait d'un coup diminuée. Philippe, qu'il connaissait bien pour l'avoir côtoyé toute sa vie, avait indéniablement sa tête des mauvais jours. L'avait-on informé d'une mauvaise nouvelle qui lui eût échappé à lui ? C'était peu probable. Il s'était donc produit quelque chose – quelque chose de grave, à en juger par son expression, L'archevêque souhaita que cela ne fût pas de nature à perturber la cérémonie.
    Les époux allèrent se poster devant les fauteuils qui leur avaient été réservés à la droite de l'autel. De l'autre côté, sur une estrade, attendaient les trônes qu'ils gagneraient plus tard et les sièges où s'étaient installés les pairs du royaume, les six plus grands seigneurs laïcs et ceux des six évêques les plus importants qui n'officiaient pas dans le chœur.
    Le cantique trouva son terme. Dans le silence retombé, Guillaume aux Blanches Mains leva sa crosse et, s'adressant d'abord aux pairs, ensuite aux nobles qui occupaient les premières rangées de bancs, et finalement à l'assistance tout entière, il prononça la formule

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