Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
Vom Netzwerk:
entretenu dans les cheminées ne parvenait pas à réchauffer l'air glacial.
    Le tribunal réuni autour des tables, présidé par l'archevêque de Reims, avait pour membres les seigneurs ecclésiastiques ou laïcs les plus nobles qui fussent : le comte de Blois et le comte de Champagne, tous deux cousins du roi par sa mère, l'évêque de Beauvais et son frère Robert de Dreux, cousins du roi par son père, un autre évêque, cousin éloigné du roi, Gautier le Chambellan, depuis toujours au service du roi… De grands personnages que leur dignité gardait bien sûr de toute partialité, on l'avait affirmé à Isambour.
    La jeune reine, un peu amaigrie, les traits tirés, était conviée à assister aux débats. Assise le plus loin possible de Philippe, presque à l'autre bout de la pièce, elle avait pour l'assister le fidèle abbé d'Aebelholt.
    Le roi siégeait seul à sa table, aussi impassible qu'il pouvait l'être, ne trahissant sa nervosité que par des mouvements de jambes un peu brusques. Nervosité toute relative, d'ailleurs, surtout due à la présence de sa femme. Quant au verdict à venir, il ne s'en inquiétait guère puisqu'il le connaissait depuis plusieurs jours.
    Après une brève déclaration liminaire rappelant les raisons de l'assemblée et expliquant de quelle manière les recherches avaient été effectuées, Guillaume aux Blanches Mains céda la parole à un clerc chargé de lire le rapport des spécialistes en généalogie et en droit. Il en ressortait qu'une arrière-grand-mère d'Isambour avait été la sœur d'un arrière-grand-père d'Isabelle de Hainaut, la première femme de Philippe. Ces deux aïeux, fille et fils du roi Knut II de Danemark, s'étaient trouvés séparés très jeunes après l'assassinat de leur père. Leur mère avait emmené son fils, Charles, chez son propre père, le comte de Flandre, auquel l'enfant avait succédé. À la mort de Charles, le comté était revenu à Thierry d'Alsace, grand père d'Isabelle.
    L'argument était on ne peut plus valable. Selon le droit canonique, il ne devait exister entre époux strictement aucun lien de parenté antérieur au septième degré, fût-ce par alliance.
    L'archevêque de Reims, s'étant déclaré convaincu par cette présentation, demanda aux nobles juges réunis de l’avaliser par un vote à main levée. Pas une ne demeura baissée.
    — En ce cas, il m'est possible de prononcer l'annulation du mariage entre notre sire Philippe et madame Isambour de Danemark, conclut-il. Ce que je m'empresserai de faire dès que chacun de nous aura signé l'acte.
    Il s'engageait, certes, mais il ne s'engageait pas seul, afin de ne pas supporter seul les conséquences de ce divorce s'il y en avait. Un mauvais pressentiment le taraudait depuis le début de l'affaire : sa conduite lui était dictée par les circonstances, mais il ne pouvait s'empêcher de se dire qu'un mensonge ne restait jamais impuni.
    Un mensonge ? Non : une erreur. La généalogie citée plus tôt était inattaquable, hormis sur un tout petit détail : Charles, comte de Flandre, était mort sans descendance. Son successeur Thierry d'Alsace ne lui était en rien apparenté, si bien qu'aucun lien du sang n'unissait Isambour et Isabelle. Ce détail, tous les éminents spécialistes consultés l'avaient négligé. Guillaume aux Blanches Mains avait personnellement insisté pour qu'on le négligeât…
    Tandis que l'abbé d'Aebelholt, atterré, traduisait en danois les conclusions du tribunal, les juges se succédèrent à l'écritoire afin de parapher le feuillet qui scellait le destin d'une femme. Philippe souriait : à présent, les choses suivraient leur cours ; le monstre rentrerait dans sa froide patrie, et lui se mettrait en quête d'une autre épouse. Qu'importait s'il lui fallait attendre quelques années pour en trouver une, le temps que cette histoire de divorce se fût effacée des esprits ?
    Puis d'un coup, un simple cri balaya toutes ses certitudes.
    Isambour avait fondu en larmes bien avant la traduction du verdict : être l'enjeu de pareil débat lui éprouvait les nerfs, et la mine de son vieil ami, sur la fin, avait suffi à la convaincre que le tribunal ne statuait pas en sa faveur. Quand elle entendit pour de bon Guillaume d'Aebelholt déclarer que son mariage avec Philippe était annulé, quelque chose en elle se brisa. Et se ressouda immédiatement sous l'effet du chagrin et de la colère, plus fort que jamais, telle une lame d'acier tout

Weitere Kostenlose Bücher